Comment c’est bien
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le 26 juin 2018
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Dans la lignée des films actuels et d’auteur qui vivent un vrai parcours du combattant pour voir le jour, on peut sans mal citer le cultissime L’homme qui tua Don Quichotte de Terry Gilliam rien que pour ses échecs et innombrables accidents de parcours sur 25 ans (et écrire tout un bouquin tant qu’on y est) et dans une mesure beaucoup (mais vraiment beaucoup) plus moindre on peut aussi parler de l’adaptation de la bande-dessinée de Run par l’auteur en question, et la collaboration entre les studios Ankama et le studio d’animation japonais 4°C, qui a bataillé durement pour trouver des distributeurs et connaître une sortie cinéma à ce jour.
Le fait étant que Mutafukaz n’a pas de facteurs jouant en sa faveur en termes de campagne marketing : déjà en raison de l’échec commercial de l’imparfait mais visuellement très abouti Dofus Livre 1 : Julith également issu d'Ankama, mais aussi par le fait que ce film se détache énormément des films d’animations auxquels nous sommes habitués auprès de Disney, Pixar, Dreamworks, Illumination ou même Sony (et le fait que Solo : A Star Wars Story est distribué la même semaine et qu’on a encore Deadpool 2 en pleine exploitation n'aide pas).
Et c’est peut être sa force première, celle de ne ressembler qu’à lui-même et de rester fidèle à son aspect fourre-tout et improbable digne d’un de ces OVNI. Mais un genre de fourre-tout aussi créatif que barré (rien que la tronche de Vinz franchement : comment c’est possible qu’un jeune adulte ait cette tête ? Le film lui-même s’en moque consciencieusement) et qui travaille aussi bien l’aspect visuel que la présentation technique très travaillé de ce côté-là. Ankama (aidé par 4°C) avait déjà fait ses preuves en 2016 avec la protéine pour la rétine qu’est Dofus, elle se montre ici capable de varier son style visuel avec un croisement entre l’insolence verbale des Lascars et les dessins très détaillé et moins éparpillé que dans un Amer Béton chez 4°C.
Mutafukaz est aidé par les influences qui composent son univers et son récit, et si certains semblent très évident (les jeux GTA et leurs langages insolent et grossiers), d’autres m’ont paru plus subtilement dilué et au service d’un tout (j’ai pas pu m’empêcher de penser à Invasion Los Angeles de John Carpenter et à Body’s Snatcher). Même les travaux musicaux de Guillaume Houzé en collaboration avec le groupe électronique The Toxic Avenger trouve un rôle important dans cet entrecroisement entre road-movie, film d’action et de science-fiction à l’atmosphère crasseuse, visuellement glauque mais aussi désespéré par l’avenir incertain et probablement mort dans lequel sont embourbé Angelino et Vinz.
Deux sympathiques losers de la cité de Dark Meat City vivant au jour le jour avec des cafards comme animaux de compagnies et à la tronche qu’on n’oublie pas (cette tête de squelette à flammèche nom de dieu ! Je veux savoir comment il vit avec une tête pareille) se trouvant, malgré eux, empêtré dans une affaire qui les dépasse et cumulant les mauvaises rencontres jusqu’au lever de rideau sur un complot à l’échelle mondiale. Encore une fois, tout les indices d’une recette allumé tout en comprenant l’univers à part que Run et Nishimi mettent en image.
Malheureusement pour ce film, sa principale force est aussi ce qui m’a un peu laissé sur ma faim, en plus de montrer à quel point la transposition d’une bande-dessinée au cinéma n’a jamais rien d’évident : l’ensemble est trop limité par sa durée pour que Run puisse adapter plus complètement sa bande-dessinée (6 tomes sans parler des pages rajoutés dans la version intégrale et compresser en un film d’une heure trente trois, c’est casse gueule), et on se retrouve avec un univers aussi prometteur qu’il ne parvient pas à dépasser son statut d’attrayant OVNI proposant beaucoup d'idée mais ne pouvant pas accorder autant de temps qu’on le souhaiterait à plusieurs d’entres elles tout comme il ne peut pas pousser plus loin divers rapports entre personnages.
Certains éléments qui auraient pu donner un délire poussé à son paroxysme aussi improbable que couillu se retrouvent parfois très maladroitement imbriqué,
à l’image du groupe des lutteurs de la Lucha Ultima qui, s’ils ne sont pas non plus présent de manière forcé ou intrusive, arrivent de manière très maladroite voire presque avoisinante dans les embrouilles traversées par Angelino et Vinz alors qu'ils ont un rôle important dans le dernier tiers sans être présent à l'écran.
Et je dois bien admettre que j’ai été un peu sceptique quant au doublage d’Orelsan (qui avait déjà prêté sa voix à Saitama dans l’animé japonais One-Punch Man). Si pour les comédiens habitués au doublage tout roule comme sur des roulettes (Féodor Atkine, Kelly Marot et Julien Kramer les premiers) et que même Gringe et Rédouane Harjane font un boulot largement décent, le chanteur/doubleur a du mal à varier son timbre de voix dans les situations plus extrême et critique.
Points noirs regrettable qui font la contrepartie de son atmosphère pourtant très prenante, variant entre les touches de comique visuel là encore influencé par la culture manga
(Angelino qui s'imagine avec le cerveau qui débloque et lui sort des narines avant d'avoir des pattes)
que par les situations plus anxiogènes (l’usage de la caméra subjectif lors de l’assaut des lutteurs au repère des Machos) que des moments plus intimistes
(le passé d’Angelino donne une toute autre dimension au personnage une fois exploré et la vie qu’il a choisi malgré les inconvénients et la situation précaire qui lui sont imposés)
et des rapports simple mais qui fonctionne bien à l’écran. Bien que là encore côté personnage, je remets en doute l’intérêt du personnage de Willy qui pourrait presque rejoindre Khan Karkass de Dofus livre 1 : Julith dans la catégorie des protagonistes irritants (même si le film lui-même en a conscience et le fait savoir).
N’ayant pas encore terminé toute la BD (j’en suis à mi-parcours et ça vaut le détour), Mutafukaz a matière à ce qu’une suite puisse voir le jour à condition qu’il ne sombre pas dans l’oubli et ne termine pas en échec commercial comme son prédécesseur. Il a beau avoir certaines limites, il est à voir pour ce qu'il apporte et ce qu'il veut proposer par rapport aux productions animées actuelles.
Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes Le Monde Merveilleux de la Japanimation., En 2018 : une histoire d'amour entre un amphibien et une sourde, Spielberg joue aux jeux vidéos et Daniel-Day Lewis va se retirer, "Je suis tellement fier de mon pays", Répertoire des films vus ou revus en 2018 et Le cinéma d'animation de 2018
Créée
le 24 mai 2018
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