Duncan Jones avoue lui-même que "Mute", considéré comme l'oeuvre de sa vie, aurait dû être son premier film. Au lieu de ça, le cinéaste a passé plus de seize années à réécrire son script pour enfin aboutir à sa concrétisation via Netflix après une période personnelle compliquée (la maladie de sa femme et la mort de son mythe de père). Découvrir "Mute" aujourd'hui revient effectivement à appréhender la première oeuvre d'un auteur littéraire qui, persuadé de détenir une idée de génie, l'aurait retravaillée pendant bien trop longtemps sans réaliser une seule seconde qu'il l'avait en réalité complètement vidée de sa substance au milieu de centaines de pages remplis de mots artificiels.
Bienvenue donc pour une énième variation du futur "bladerunnerienne" polissée à l'extrême et où une étrange alliance entre David Bowie et Magnum dicterait la mode à suivre dans le Berlin des années 2050 !
Devenu muet suite à un incident nautique tellement typique de sa communauté amish, Leo (Alexander Skarsgård) égare sa petite amie à la pilosité maritime forcément synonyme de lourds secrets dans une ambiance de film noir bien trop propre pour être crédible une seule seconde. Comme son enquête en mode pilote automatique se résume à une série de rencontres aléatoires lui révélant toujours une nouvelle destination vers laquelle se diriger au terme de chaque scène (celle avec Dominic Monaghan en est le plus parfait prototype), le film se veut plus consistant en développant une intrigue parallèle (et évidemment amenée à être d'égale importance) sur un père protecteur/chirurgien clandestin de la mafia et son partenaire amoureux au comportement plus que suspect. Le tandem Paul Rudd/Justin Theroux (par ailleurs, très bon, heureusement...) aura beau nous rejouer la partition de celui formé par Clooney/Tarantino dans "Une Nuit en Enfer" en mettant en exergue la déviance du second (la pédophilie) comme menace permanente pour transcender la platitude de l'ensemble, rien ne parvient à camoufler le fait que, débarrassée de toutes ses fioritures SF, la conjugaison des deux intrigues au coeur de "Mute" ne forme simplement que l'ossature d'un récit de thriller domestique on ne peut plus banal et étiré sur une durée interminable de plus de deux heures. Évidemment, on sent souvent que le propos est en écho de quelques thématiques personnelles de son auteur (le père surprotecteur, prêt à tout pour éviter à son enfant les horreurs d'un milieu qui ne cesse pourtant de le contaminer, il y a de quoi de faire une belle thérapie, pas obligatoirement un film...) mais elles restent à un stade rudimentaire, noyées dans le montage hasardeux entre les points de vue parallèles les privant, de fait, de toutes tentatives de véritables développements plus poussés.
Certains jolis plans, l'innocence plutôt touchante des premiers instants autour du personnage principal entouré par une technologie omniprésente qu'il se refuse à utiliser et un clin d'oeil très amusant à "Moon" nous rappeleront pourquoi on a tant adoré le Duncan Jones d'une certaine époque mais, au final, la tristesse et la déception ressenties devant le film d'un cinéaste qui n'a visiblement plus grand chose à dire l'emportent sur tout le reste. Et c'est sans doute aussi pour ça que le titre "Mute" correspond aussi bien à son quatrième long-métrage.