Mute est un film à regarder sans rien savoir sur lui, pas même sa sortie sur Netflix, qui commence à sérieusement entacher la réputation des long-métrages qui ont la (mal)chance de finir sur la plateforme plutôt qu'au cinéma, leurs réservant ainsi un sort de "recyclage" (on pense à Bright, prévu dès le départ sur Netflix, ou Cloverfield Paradox, atterri sur la plate-forme comme le déchet rejeté des studios face à une médiocrité relativement gênante).
Pour Mute, le fait de s'abstenir de toute information sur son contexte de création peut lui faire défaut, comme lui procurer certains avantages. On oublie ainsi l'étiquette de film "échoué" sur Netflix, mais aussi le fait que ce soit le film le plus important aux yeux de son réalisateur, Duncan Jones, qui faisait monter (malgré lui?) la hype lorsqu'il nous apprenait qu'il traîne son film le plus personnel depuis plus de 15 ans maintenant. On imagine donc se retrouver de nouveau face au génie du réalisateur de Moon, ce dernier faisant d'ailleurs parti du même univers narratif que Mute, mais hélas, il n'atteindra jamais son niveau. Toutefois, il ne faut pas faire l'erreur de comparer les deux films tant ils sont différents.
Le synopsis est assez classique: un homme (Alexander Skarsgård) cherche à retrouver son amour perdu dans les bas-fond d'une ville rongée par le vice, sous bien des formes. Sauf qu'ici, la particularité vient du mutisme permanent du personnage principal de Léo, un amish vivant dans un Berlin futuriste qui n'est pas sans rappeler Blade Runner. Je n'attendais pas grand chose de cet univers stylisé, qui ne trouve pas grande originalité après le passage de Ghost in the shell, Altered Carbon, ou encore l'exceptionnel Blade Runner 2049.
Léo va donc, à l'image d'un certain Rick Deckard, aller d'un point à l'autre de la ville dans le but de retrouver son amour disparu, avec une certaine monotonie. Si le personnage de Léo est relativement attachant, ses péripéties sont classiques, et manquent surtout de fluidité: on a l'impression d'assister à une série d'interrogatoires où les pistes de Léo vident leurs sacs un peu trop vite.
Mais LA bonne surprise du film, c'est le duo que constituent Cactus et Duck, superbement interprétés (Paul Rudd, à la limite d'en faire trop, arrive à nous faire croire à ce véritable connard quasi-psychopathe, et pourtant père d'une fille qu'il trainera un peu partout, ainsi que Justin Theroux, insufflant une aura terrifiante à un personnage qui n'en a pas vraiment l'air), deux chirurgiens vétérans de l'armée ayant désertés (pourquoi? Lors de quel conflit? Cela pose les bases d'un background tout juste effleuré, mais qui revient parfois sur le tapis, notamment avec l'extension de l'Allemagne citée quelque fois), qui sont relativement flous: on les sait incroyablement cruels, mais on se demande si ils sont véritablement fous (à cause de ce qu'ils ont vu/fait à l'armée?), leur complicité étrange nous laissant volontairement dans le doute, notamment à la fin. Les deux personnages vont évoluer parallèlement à Léo, en étant néanmoins bien plus intéressant que ce dernier.
Arrive ensuite le dernier tiers du film qui m'a beaucoup plu pour plusieurs raisons: on découvre pleinement la vraie nature des deux chirurgiens, une cruauté que je n'ai pas l'habitude de voir au cinéma (ou en l'occurrence ici: devant ma télé), tant les films d'aujourd'hui nous habituent aux Happy End; ainsi que le jeu d'Alexander Skarsgård, qui, si il parait bien lisse tout au long du film, arrive à émouvoir lors de ce dernier acte d'une bien bel manière.
Mais de là découle le problème du film: si on n'adhère pas autant que moi au duo de sadiques, on peut rapidement s'ennuyer dans le segment principal. On a l'impression d'avoir déjà vu cet univers, cette société, ces bas-fond... Duncan Jones n'arrive pas à transcender cette histoire somme toute classique. Pour autant, ce film noir ne manque pas de qualités: ses acteurs, ses personnages, la très belle bande original de Clint Mansell, et certaines scène très intenses (la découverte de la vraie nature de Duck, le pétage de plomb de Léo dans la piscine).
Pour autant il n'arrive pas à rendre le parcours de son héros suffisamment intéressant à suivre, les caractéristiques de Léo étant trop inexploitées par rapport à l'importance que le film y attache (une scène d'introduction uniquement à ce sujet quand même). On remarquera aussi que les scènes de baston, peu nombreuses, manquent gravement de punch, même si ce n'est pas le point le plus important, ainsi qu'un univers manquant franchement d'identité malgré certains détails (les diverses langues parlées et le background sus-nommé par exemple). Dernière déception: le simple clin d'oeil de Sam Bell, j'en attendais plus, même si le détail est amusant.
Mute n'est donc pas une simple purge comme j'ai pu le lire parfois, mais fait partie de cette liste de films qui auraient pu être de vrais chef-d'oeuvre (comme Star Wars 8 pour ma part), sinon un très bon film.
Pour ceux étonnés de la note, j'ai tenté de faire la critique la plus objective possible, mais j'aime profondément ce film. La fin m'a ému, les personnages principaux étaient fascinants, et leurs trajectoire ne font que sublimer le film. Mais ça, ce n'est que mon avis :)