Par la partition musicale baroque de Bertrand Burgalat, par une série de costumes fantaisistes qui semblent dater des siècles précédents, par une galerie de lieux stéréotypés – l’appartement dans l’obscurité semble hanté par une sorcière, celui de la grand-mère respire au contraire la piété et le respect des valeurs familiales traditionnelles, l’atelier d’un pseudo artiste et revendeur d’art traduit par le choix d’un entrepôt à la vaste superficie l’absence de frontières entre le bien et le mal, le décent et l’indécent, le respect et l’irrespect –, My Little Princess recourt à l’univers du conte de fées pour mieux raconter l’exploitation subie par Violetta et ainsi révéler le viol d’un corps dont on commercialise l’image par abus de faiblesse et de confiance.
Ce rapt physique, qui procède par petites touches, revêt à terme une portée symbolique forte, puisqu’au-delà de voler un corps, la mère dérobe l’enfance, temps de l’innocence qu’elle dégrade en considérant sa fille comme une poupée lubrique. Les poses, de plus en plus lascives, jusqu’à la nudité explorée puis refusée, dénaturent l’enfant qui erre entre deux rives inatteignables et opposées, et qu’il s’agit de baptiser « adolescence », ce temps de l’incertitude et du bouleversement intérieur. Eva Ionesco se raconte et brosse le portrait complexe de deux personnages : la fille devient prisonnière des reflets déformés que lui renvoient les photos, la mère manifeste un sacrifice de soi et des siens à l’art qu’elle place au-dessus de tout. Là réside l’intelligence du long métrage : ne pas diaboliser à excès la figure maternelle et préférer la carte de l’ambiguïté morale : Hanah est à la fois victime et bourrelle ; nous serions incapables de trancher pour la condamner ou l’excuser.
C’est dire que le genre du conte ne sert que d’enveloppe esthétique et tonale à un récit moins binaire et manichéen qu’il n’y paraît, au point que la réalisatrice pèche parfois en exagérant sautes d’humeur et violences verbales, trop artificielles. Le film réussit pourtant à nous saisir et produit un malaise tenace sans tomber dans la surcharge voyeuriste ou moralisatrice.