Lorsque le cinéma sort de ses gonds
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le 4 janv. 2024
Si le Myra Breckinridge de Michael Sarne a marqué l’histoire d’Hollywood c’est dans un premier temps par son échec commercial. Audace prématurée, cafouillage de style, œuvre d’imposture dans le paysage hollywoodien, toutes les raisons sont bonnes pour justifier les déboires que le film a trainé derrière lui. Aujourd’hui Myra Breckinridge est un classique de genre. Il porte fièrement l’étendard du mouvement « camp », fief de l’esthétique à paillette du kitsch LGBT dans la culture pop. Destiné en son temps à devenir la secousse contestataire qui assurerait à la communauté hippie la chute des piliers du conservatisme hollywoodien, le film trouvera sa juste place plus tard, ailleurs. Pourtant Myra Breckinridge, composition ambiguë, navigant entre une architecture expérimentale et son statut de grosse production hollywoodienne, n’a jamais manqué d’une incontestable bravoure : celle d’exister. Aujourd’hui encore reste accrochée à l’enseigne hollywoodienne une petite tumeur hybride. C’est elle qui a su se jouer de toutes ses entités doctrinaires et projeter sur celles-ci quelques gouttes de sang, vilaines tâches organiques sur le rouage conservateur de la fabrique.
Myra (Raquel Welch) c’est avant tout Myron (Rex Reed), un jeune critique de cinéma aux ambitions démesurées, étendu sur un lit chirurgical en vue de perdre chaque composante de sa masculinité (ou presque). L’opération terminée, les yeux se rouvrent, le roi est mort, vive la reine. Myra se fera passer pour la veuve du défunt Myron en vue de réclamer les droits de propriété de feu son mari au géant déchu du western hollywoodien, le vieil oncle Buck (John Huston). S’exerçant à détourner les caprices de la jeune femme, l’ancien cow-boy lui offre un poste dans l’école qu’il dirige. Elle tiendra le cours « Positions et empathie » devant de jeunes cinéphiles formatés par les dernières respirations d’un conformisme aux oubliettes. L’objectif tacite : briser la mainmise du patriarcat sur le cinéma hollywoodien, pervertir définitivement les mœurs du bon chic bon genre, de son point de vue, œuvrer à la réhabilitation de l’âge d’or d’Hollywood. La mission, mi nostalgique, mi progressiste, devient ainsi composante de l’identité double et des contradictions qui définissent Myra. Elle n’est pas un homme et pourtant, l’ombre qu’elle trainera derrière elle tout le long du film restera la figure de Myron qui ne se privera jamais de lui suggérer ses préceptes, accords et désaccords. Elle n’est pas un homme et pourtant porte encore entre ses cuisses les deux habitacles « bene pendentes » du mystère de la procréation masculine. Ultime révélation de Myra, tête haute, culotte baissée, campée au-dessus des regards sur le bureau de son oncle. Celui-ci, ébahit, s’étonne : « That’s the ball game ». Victoire, deux à zéro, Myron existe encore (un peu). Difficile de ne pas admirer John Huston pour avoir revêtit les santiags et éperons qui clowneraient l’ensemble de sa carrière filmique. Son œuvre en tant que réalisateur porte le sceau du classicisme hollywoodien, il le sait, et c’est cette même empreinte qu’il acceptera d’abâtardir en se laissant écraser, d’abord littéralement par la force d’une masseuse à califourchon sur son dos, finalement par la victoire sensationnelle de Myra Breckinridge. Son alter ego, c’est la marraine d’Hollywood, la grande Leaticia Van Allen, interprétée par l’immense Mae Waest. A ceux qui déclareraient éphémère la carrière du sex-symbol, Mae West, du haut de ses 70 années, renvoie la balle d’un déhanché totalement décomplexé. Tout jeune homme arriviste qui veut se tailler une place dans la dangereuse arène du cinéma américain doit passer par la couche de Leaticia Van Allen : elle est la Circée du mythe hollywoodien. Immanquablement, entre les figures qu’il destitue, celles qu’il institue et le décloisonnement des frontières sexuelles qu’il opère, le film ne manque pas de courage. Et la démarche ne s’arrête pas là. L’exigence du film (peut-être prématurée) n’aura pas été seulement de vouloir travestir les regards. L’hybridité de l’œuvre Myra Breckinridge existe aussi, nous l’avons vu, dans son étirement entre l’amour des origines (puisque Myra aspire à rétablir l’âge d’or d’Hollywood) et la satire contestataire du classicisme. Dans ce balancement permanent des genres et idéaux, le film ne sait plus s’il doit se harnacher à la corde d’une narration réglementée ou s’éparpiller librement dans le champ de l’expérimental. Il s’en déduit les toussotements d’un récit qui s’entrecoupe d’ingérences brusques des archives du grand cinéma classique. Aujourd’hui le film est puissant. Il est beau parce qu’il est confus. Il est fort parce qu’il ne sait lui-même jamais où il se dirige. De l’instabilité des idéaux, du déversement effréné des discours, du condensé d’incarnations libidineuses, il résulte une prodigieuse naïveté. C’est celle qui engage le film à s’auto-dépasser. Il est finalement le parfait être hybride dans tous ses questionnements. Il est Hollywood et pourtant aspire à l’enfouir dans une confusion orgiaque sans tenue. C’est là toute l’auto-flagellation permanente de John Huston. Hollywood est bien détruit dans ses idéaux désuets : il bafouille, il cafouille, il hésite, il se trompe. Enfin il s’humanise. Nous pouvons souffler un peu.
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Créée
le 1 déc. 2019
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