Grand cinéaste chinois de notre temps, Lou Ye est de retour cette année avec un cinquième long. Présenté en compétition dans Un certain regard au festival de Cannes en 2012, Lou Ye n’a cette année pas choisit la compétition officielle (auquel il avait participé avec Purple Butterfly, Une jeunesse chinoise, et Nuit d’ivresse printanière). Pour la première fois, le cinéma de Lou Ye s’inscrit dans le film de genre, le thriller/film noir sans pour autant y suivre codes et balisages habituels.
C’est en ce sens que Mystery nous happe dès ses première minutes : tout commence très vite par la mort de la victime, renversé par une voiture, et gravement blessée juste avant l’accident. Ces premiers plans magnifiquement montés nous apparaissent non sous un seul point de vue, mais bien plusieurs. Ce sera également le sujet du film, parmi de nombreux témoignages, mensonges, complots et trahisons. Ces premières annonces pourraient sembler classiques (film choral ?), et non dignes d’intérêt pour un film codifié aux premiers abords.
Cette fabuleuse scène reviendra à plusieurs reprises durant la progression de l’intrigue : c’est de là que tout le film part, c’est là qu’est la clé. De sublimes ralentis à la coréenne peuvent nous évoquer d’autres grands cinéastes, comme Park Chan Wook, Kim Je-woon, et bien d’autres. Cette scène pourrait s’inscrire dans le slasher, si elle n’était pas filmée d’une façon si personnelle, si propre à l’auteur. Comme d’autres procédés de mise en scène de Lou Ye reconnaissables (gros plans sur les visages pendant des actes violents) Mystery insuffle au thriller d’aujourd’hui un esprit quasi nouveau, original, puissant, à l’encontre du thriller américain académique. L’impressionnante Hao Lei, déjà remarquée dans Une jeunesse chinoise (2006) est de tous les plans, et apparaît comme une anti femme fatale, une héroïne soumise en continu. Ce rôle lui a par ailleurs valu une nomination de la meilleure actrice au dernier festival d’Hong Kong.
A cela s’ajoute une part importante dans tout thriller : l’espace dans lequel évolue ses personnages. Lou Ye a intégralement tourné à Wuhan, grande ville chinoise sur les rives du fleuve bleu. Les quelques plans montrant les grattes ciel ne sont pas sans rappeler certains classiques américains, comme The Naked City de Jules Dassin (1948). La ville a un rôle primordial dans Mystery, c’est une ville où l’on ne peut se cacher, une ville où tous regardent par les baies vitrées, suivent des yeux les voitures, espionnent leurs compagnes ou compagnons.
Si Mystery parvient à nous achever avec un surprenant coup de théâtre, annihilant tout suspense préétablit, ses faiblesses peuvent apparaître dans la gestion du rythme, parfois trop lent, parfois trop rapide, ou dans ses dialogues pas toujours bien ficelés. Mais ce n’est pas pour autant que cette histoire ne parvient pas à aspirer l’esprit pervers et inquiet de nous, spectateurs. En ce sens, Lou Ye réalise peut être son film le plus accessible à ce jour. L’autre déception est peut être cette accessibilité. Possédant la boite de pandore du thriller noir, Lou Ye ne l’utilise pas jusqu’au bout, même si il propose un film de genre conçu différemment du courant habituel. Manquant de richesse, ce Mystery est néanmoins un véritable hameçon, qui n’harponnera sans doute pas tout son public, mais dont les heureuses victimes se trouveront ravies.