« - Hey ! C’est quoi ça ? Ça parle de quoi ? Y a l’air d’avoir d'la meuf en tout cas ! Allez gros, on y va. »
« - Nom de Dieu ! Harmony Korine a tourné avec des actrices Disney ? Que se passe-t-il ? Ce Spring Breakers ne peut que surprendre je pense ! Dans les deux sens… »
« - J’hallucine… Quatre filles Disney en bikini qui partent en vacances, dans un film libellé art et essai ! Un cancre qui va encore se faire chouchouter par toutes les revues cinéphiles… »
Et nous pourrions continuer comme ça, avec mille autres phrases entendues à l’entrée des cinémas, à propos de cette affiche exposant frontalement la bêtise et le film pour ado. Qu’en-est-il vraiment donc ? Chose sûre, ce Spring Breakers laissera peu d’indifférents, et en bluffera beaucoup.
Synopsis : Pour financer leur Spring Break, quatre filles aussi fauchées que sexy décident de braquer un fast-food. Et ce n’est que le début… Lors d’une fête dans une chambre de motel, la soirée dérape et les filles sont embarquées par la police. En bikini et avec une gueule de bois d’enfer, elles se retrouvent devant le juge, mais contre toute attente leur caution est payée par Alien, un malfrat local qui les prend sous son aile…
Du gros Dubstep avec un ralenti sur tous les jeunes appréciant leur Spring Break. C’est ainsi qu’Harmony Korine réalise sa scène d’ouverture, déjà déconcertante au plus haut point. Nous serons dans la surprise tout au long des 90 minutes qui passeront à une vitesse fulgurante et inoubliable. Il ne faut pas négliger le contexte promotionnel du film : Une affiche avec quatre jeunes actrices Disney en maillot de bain criant bonheur et liberté. Par ce coup de maître malicieux, Harmony Korine attire tout public dans la salle, sans le filtrer au préalable. Pour certains, cet objet sale et sublime sera la grosse claque du mois de Mars, ou de l’année 2013. Pour d’autres, ce ne sera rien d’autre qu’une goutte d’eau inutile et faisant tâche dans le paysage du cinéma indépendant américain. Le libellé art et essai et la couverture des Inrocks, des Cahiers du Cinéma, ou de So Film a à l’évidence beaucoup joué et attiré cinéphiles ou amateurs avides de sensations. Sensation est peut être le meilleur mot pouvant résumer tout le film : de nos jours, un bon film est un film qui se vit. Ce trip sensoriel qu’est Spring Breakers n’a aucun équivalent ces dix dernières années, et c’est en cela qu'il demeure unique et grandiose.
Harmony Korine est loin d’être un nouveau petit cinéaste en émergence.
L’avant Spring Breakers comporte quatre autres longs métrages : Gummo (1997), Julien Donkey Boy (1999), Mister Lonely (2007), Trash Humpers (2009). A la vue de ces précédentes oeuvres, l’accessibilité de Spring Breakers se fait immédiatement remarquer. Korine raconte dans ses entretiens qu’il a voulu tenter autre chose, pour rompre l’homogénéité du début de sa filmographie. Le choix des actrices était une sorte de gageure. Jamais Korine n’a été convaincu, avant le tournage, qu’elles seraient toutes à la hauteur. Sur conseil de sa femme, Rachel Korine, il a entièrement écrit son scénario durant un vrai Spring Break. Ce n’est pas pour autant qu’il choisit de montrer un aspect réaliste de cet événement. Le lyrisme de la mise en scène de Korine est vertigineux et nous en met littéralement plein les yeux.
Plein les yeux, c’est aussi les indications que Korine a pu donner au directeur photo Benoît Debie (connut pour les plus grand navets de Gaspar Noé), où son travail dépasse la simple stylisation pop de ce conte. Les couleurs et les éclairages sont exploités à l’extrême comme dans un tableau du Caravage.
La bande son, quand à elle, n'est pas sans nous rappeler un grand film de l'année 2011, Drive de Nicolas Winding Refn. Cliff Martinez est aussi le compositeur de Spring Breakers, et possède un style bien propre reconnaissable dés les premières notes.
Le plus surprenant, chez Harmony Korine, est que tout ce chantier esthétique repose sur une plaque bien solide, et surtout bien masquée. Spring Breakers est aussi un film à discours, très léger mais insolent, très populaire mais privé, fondamental mais négligé. Qu’est-ce que la jeunesse américaine de nos jours ? Certainement pas Projet X (2012). Mais l’objectif d’Harmony Korine n’est pas non plus de donner une leçon de morale ridicule et mille fois vu. Présenter la jeunesse, avec un paradigme qu’est l’histoire de ces quatres filles, voilà le tour de force du cinéaste. Korine ne propose pas non plus une vision totalement pessimiste (Faith, brillamment interprétée par Selena Gomez rentrera au bout de 3 jours de Spring Break), mais une vision bien plus objective tout en restant dans un film d'auteur, libre comme de l'air pur.
Outre toutes ces qualités discernables, le film d'Harmony Korine est avant tout une expérience. Qui ne ressemble à aucune autre, sans jamais sombrer dans le pathos, l'ennui, ou le ridicule. Depuis ses débuts, le cinéma est une attraction. Depuis 1929, le cinéma allie image et son. Si Spring Breakers s'inscrit dans cette continuité, c'est bien pour créer autre chose qu'un simple joli clip superficiel, autre chose qu'un ridicule régal pour ados en manque avec des filles en bikini servis sur un plateau. Quand nous ressentons autant de plaisir, quand nous oublions toute notre vie quotidienne dans une salle de cinéma, quand nous aimerions rester dans cet univers et ne plus jamais en sortir. Le même effet qu'une drogue douce, au final. Peut on classer cela dans le septième art ? Il y eut Easy Rider en 1968, Mullholland Drive en 2001, Drive en 2011, ou encore Spring Breakers en 2013.