Avec la conscience tout-à-fait lucide d'être le petit grain de sable dans le rouage de la grosse machine paternaliste qui continue de nous vendre l'amour comme un gros coup de foudre, je serai donc la voix dissonante et sans doute atypiquement raisonnable qui traite ce film de relation toxique glorifiée.
Je remarque depuis quelques années déjà que les gros vendeurs des mondes cinématographiques et littéraires en matière de romance s'enfoncent toujours plus bas dans les relations malsaines, voir dangereuses, mais force est de constater que ça ne date pas d'hier. "Les pages de notre amour", le titre en version québécoise, m'a été présenté comme l'un des plus grands films d'amour et aujourd'hui, il est bien enterré dans mon top 10 des pires romances pour l'univers des films, avec les Twilights, les After, Breakfast Club, Grease et toutes ces horreurs relationnelles malsaines signées Wattpad et Netflix. Aucune romance qui se respecte ne comprend quelque forme de violence que ce soit, mais le soucis est que les gens ne savent pas du tout les décoder ou même les remarquer. Résultat des courses, "Les pages de nos amours" est une "romance", alors que de mon côté, je frisonne de tous ces comportements inadéquats, ces paroles mesquines, cette puérilité d'enfant gâté et cette lâcheté qui sont apparues dans le film. " Quand on porte des verres qui nous font voir la vie en rose, les drapeaux rouges ne sont plus que de simples drapeaux" dit l'adage. Voilà un film qui le prouve hors de tout doute.
Alors, quels problèmes pouvons-nous observer dans ce marécage sentimental? Déjà, je ne traite pas de l'ouverture ou de la fermeture du film, qui concernent ce qui ressemble à un tout autre couple. Vieux, tendres et complices, ce sont les seuls acteurs crédibles de ce film et surtout, le seule couple qui a l'air d'un couple sain. Leurs homologues "jeunes" par contre, sont assurément la partie problématique.
On a le gars ( je ne me rappelle plus de son nom), qui a le goût d'avoir la petite blonde bourgeoise qui semble en fréquentation avec un autre gars. Durant une fête foraine , il décide de lui extorquer un rendez-vous en se suspendant du haut de la grande roue, juste devant elle, menaçant de se laisser choir si elle ne sortait pas avec lui. Ça s'appelle du chantage et c'est ainsi que commence la superbe relation malsaine de nos deux tourtereaux incompatibles. La réaction de la demoiselle était réaliste jusqu'à ce qu'elle en rit, ce qui m'a donc aussitôt fait douter de son jugement. Oh, c'est drôle un gars qui t'impose ce genre de manœuvre déloyale et qui te cause une frayeur de cette nature? Heh ben! J'ai l'impression que ce n'est pas une lumière, cette fille.
La suite est une accumulation de oui-mais-non interminable, avec des passages gênants et des caractéristiques qui ne sont généralement pas parmi les bases d'une relation harmonieuse. Je pense notamment au fait que le gars prétend pouvoir "devenir celui que tu veux". Ça sonne peut-être mignon dans la bouche d'un acteur payé pour le faire, mais soyons francs: Personne ne veut se réinventer pour les beaux yeux de quelqu'un, du moins une personne qui se respecte. On a tous une personnalité, un tempérament et des valeurs à défendre, c'est ce qu'on appelle "une identité" et c'est plutôt courant chez les êtres humains - notez le sarcasme. Prétendre devenir 'quelqu'un d'autre", ce n'est pas un bon signe, c'est même un peu désespéré. Une personne qui en aime une autre la prendra telle qu'elle est, avec sa nature, sa façon d'être et ses traits et c'est avec les compromis, la saine communication et la complicité que de part et d'autre les différences deviendront complémentaires. Enfin, de manière générale, bien sur. Ce que je veux dire, c'est que c'est malsain de s'effacer devant l'autre pour correspondre à sa vision idéal de sa personne et d'ainsi répondre à ses strictes besoins. De toute manière, le gars en est un exemple flagrant, c'est impossible à faire. À moins de s’appeler Bella Swan et de n'avoir aucune personnalité à sacrifier, on est ce qu'on est et si par exemple on est un petit couillon immature et mesquin comme le gars de cette histoire dont j'ignore encore le nom (et je m'en fout), ça ne changera pas de sitôt.
Mais la fille n'est pas mieux. Je l'ai trouvée chialeuse ( plaignarde et capricieuse), égocentrique et franchement immature elle aussi. Certes, ils sont jeunes tous les deux, mais avoir la jeune vingtaine et avoir 9 ans, c'est quand même pas le même degré d'immaturité. Pour en revenir à cette jeune femme gueularde, j'ai quand même remarqué que dans sa frustration, elle a battu son copain à grand coup de main et de poing sur le corps ( le pauvre gars finit par s'autoclaquer, histoire de montrer le ridicule de la situation). C'est-de-la-violence. Et oui, s'en est même si c'est une fille, et non, la frustration ne justifie pas les coups , AU CONTRAIRE! Cette même fille qui va pourtant tromper un autre homme - j'y reviendrai - pour revenir jouer à saute-mouton avec lui entre deux chicanes ponctuées de hurlements. Ouah. Que d'amour.
Cet autre homme, qui est le conjoint suivant de la demoiselle bourgeoise qui a déménagé, était un homme charmant. Vraiment, ça m'avait étonné: il est élégant, il est bien articulé et semble sain dans sa tête. Surtout, j'ai aimé la manière toute naturelle de seconder sa fiancée dans ses décisions: Oh, tu veux faire ça, bien sur, pas de problème! Oh, tu as besoin de prendre du temps pour toi, d'accord. Dois-je m'inquiéter pour toi?" Arf! Mais qu'est-ce que cette gourde de fille stupide a dans la tête de vouloir reprendre une relation orageuse avec un gars de campagne avec qui la compatibilité est proche du zéro - sexe excepté- alors qu'elle a un si gentil fiancé qui est un homme sain? Ah, mais c'est peut-être ça au fond. Le sexe, encore. Loin devant la confiance, le respect, la complicité, le plaisir partagé ( oula, non, des trucs sains, ouh, que c'est "ennuyeux!!) on a le sexe ( Oh oui, du cul, youppi!). Je suis désespérée. Ou incurablement romantique, c'est selon. Les relations qu'on nous vend à l'écran sont bancales, fades, houleuses et scabreuses parfois, mais dès que des fesses sont de la partie, on se laisse berner par le pétillant de l'orgasme avec pénétration et des belles gueules d'écorchés à sauver qui pratique la pénétration comme seule façon de baiser. Curieusement, c'est justement ma vision de ce qui est ennuyeux: le sexe qui n'est rien d'autre que de la pénétration et des belles gueules. On en a trop vu. Trop souvent, trop longtemps, c'est devenu aussi beige qu'un mur de couvent et surtout homogénéisant au possible. Des vraies relations saines dans les films et les romans, en revanche, je n'en connais que très peu. Mais je m'égare.
"Les pages de nos amours" aurait pu s'intituler "Nos compromis absents", "Nos violences intimes" ou "Nos sexes compatibles", mais "amour", non, pas vraiment. Le désir n'est PAS le sentiment amoureux, c'est le grand mensonge du marketing romantique depuis des siècles. Le désir est l'envie de l'autre, l'attirance sexuelle pour l'autre. Je ne dis pas que c'est mal, aucunement, c'est même une des composantes d'une relation, mais pas la seule et surtout pas obligatoire. Hein? Comment ça? Pensez donc aux gens qui développent des sentiments avec le temps, pensez donc aux asexuels qui n'ont pas besoin de sexe, mais qui tombent amoureux.se quand même, pensez aux gens qui ne peuvent physiquement pas avoir de sexe, mais qui eux aussi tombent amoureux. Le désir est la base primaire de notre besoin de reproduction, mais ce n'est pas le sentiment complexe qui peut le comprendre dans ses composantes. Ce peut-être la porte d'entrée, mais pas la maison au complet. Autrement dit, le sexe est une des nombreuses composantes, pas la base de l'amour. Le sentiment, pour sa part, comprend un sacré paquet de composantes psychologiques et sociales nécessaire à sa survie et son épanouissement: respect, complicité, confiance, sécurité, complémentarité, plaisir partagé, intérêts partagés, projets communs, honnêteté, loyauté, fidélité, etc.
Chaque couple aura ces composantes dans des proportions différentes selon leurs besoins et leurs valeurs, mais quand je regarde le couple de ce film...c'est plutôt des problèmes que je vois: manque de respect, mensonges, non-dits, menaces, insultes, incapacité de faire des compromis, chantage émotif, violence physique, communication déficiente, etc. Loin d'être un modèle, on dirait presque un exemple de couple bourré de conflits. Le problème n'est pas d'en avoir des conflits, c'est qu'ils ne les résolvent pas correctement et pire, la seule réelle base saine est leur sexualité compatible, c'est pathétique! Mettre des trames romantiques, pondre une ou deux phrases quétaines et leur faire traverser une averse ou une armée d'oies ( bonjour à cette armée surnaturelle d'oiseaux, qu'est-ce que c'est que ce film?) ne rendra pas le couple moins malsain. Le cinéma et la littérature sont des pros pour nous bercer de douces illusions, mais avec un peu de recul, on voit les comportements problématiques et les répliques acerbes. C'est juste qu'on fait souvent le choix de les ignorer.
D'ailleurs, je mentionne que faire une histoire d'amour intéressante n'a pas besoin que les enjeux soient au sein même du couple, ils peuvent être externes. Un exemple de film qui le met bien en lumière: Orgeuil et préjugé. Ce n'est pas une incompatibilité de personnalité, au contraire, ils ont beaucoup de choses en commun, mais les deux amants en devenir ont des enjeux de classe sociale différente et des jugements qui leur sont liés. Aussi, il y a des enjeux familiaux. Donc, pas besoin de faire ces satanés "ennemis deviennent amants" parfaitement stupides ( ça n'arrive pas jamais ce genre d'oppositions sentimentales extrêmes, c'est du pur fantasme), on a juste besoin de mettre des enjeux externes, c'est-à-dire dans l'environnement direct, qu'il soit social , sociologiques ou même sociétaire. Aussi, il faudrait peut-être se demander pourquoi nous avons impérativement besoin que tous les couples de la fiction aient obligatoirement des problèmes, comme si une relation sans enjeux était une relation irréaliste. Fun fact, ça existe!
Bref, cette "référence" en matière de films romantiques rejoint mes films qui banalisent et glorifient les relations malsaines, bien loin de mon top 10 des relations saines qui constituent mes films romantiques préférés. J'ai conscience d'avoir un regard différent de la masse, ma vision de la romance est elle même à des lieux de la norme, en grande partie parce que le sexe est ennuyeux à mes yeux et que ça ne sauve donc aucunement une relation boiteuse à mes yeux. Les belles gueules bourrées de problèmes ne me font pas fondre non plus, car je ne peux pas passer outre les comportements et les paroles peut importe à quel point l'acteur et l'actrice sont socialement considérés comme "beaux".
Enfin, je ne trouve aucun réconfort à voir deux énergumènes se quereller et se taxer d'amoureux en même temps, c'est juste aliénant et stupide. Un couple sain tente et sait gérer les conflits, un couple malsain se contente de les répéter indéfiniment.
Un film à regarder quand on est mélancolique et qu'on a pas envie de voir des choses heureuses, ou encore quand on veut voir de près une relation dysfonctionnelle ( même si ce n'est pas la pire).