Critique de la raison surjouée

[Mouchoir #1]


Des fois, je me demande quelle part d'interprétation on donne à un film qu'on a apprécié, quel sens notre raison amadouée ajoute pour légitimer des faiblesses objectives. Je m'explique : dans cette adaptation de Dorothy Arzner, ça joue rarement bien, ou plutôt cela sonne assez faux, cassant le classicisme attendu, en proposant un baroque plus fragile que chez Sternberg à la même époque, alors que pourtant le récit et le contexte de production donnent des raisons à cette fausseté. En tout cas, c'est ce que je me raconte, et ce qui fait que j'accepte ce type de jeu. Premièrement, Nana et son actrice soviétique Anna Sten, c'est la réponse de Samuel Goldwyn de la Metro-Goldwyn-Mayer pour concurrencer l'européisme de l'allemande Marlène Dietrich (Paramount) et de la suédoise Greta Garbo (MGM). Sten s'avère ainsi filmée comme un pastiche des deux par une superbe photographie de Gregg Toland qui doit beaucoup à Lee Garmes et James Wong Howe — lumière en douche, effet de fumée, gros plans desaxés —, d'où l'impression d'un Sternberg décousu, sûrement voulu.


Deuxièmement, ce jeu tantôt horripilant, tantôt truculent, qui jongle avec une sensualité qui se cherche, donne naissance à une justesse toute particulière qui colle au personnage. La Nana d'Arzner, c'est quelqu'un qui ne s'est pas encore trouvée et qui, pour cacher cela ne fait que jouer la comédie, incapable de faire autrement. Contrepoint de la misère populaire de Zola permettant de rendre d'autant plus fort les moments-clefs, lorsque par exemple on annonce la guerre et que ce visage jusque-là si expressif se fige de terreur. Pendant une seconde, le surjeu s'est tu, assassiné, me laissant croire que tout le reste était une farce excentrique.


[04/04/17]

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