Mort à Sacha, vive Guitry !
La déception a-t-elle eu un impact sur mon appréciation ? C’est fort possible, en effet. Il faut dire que ce film avait tout pour me correspondre. Les supposés bons films sur Bonaparte ne sont pas monnaie courante, mais c’est d’autant plus intéressant lorsqu’ils sont sous la direction de Sacha Guitry. En effet, Guitry tout au long de sa carrière de cinéaste, nous a narré sous forme de bribes, quelques anecdotes sur celui qui initia la dynastie des Bonaparte. Après avoir eu l’occasion de profiter du talent de conteur de Guitry sur ce sujet, une oeuvre exclusivement consacrée à celui-ci à de quoi rendre enthousiaste. Malheureusement, Guitry ne semble plus avoir ni l’énergie ni la créativité, pour nous exposer à sa manière l’histoire de cet illustre personnage.
Un rêve qui se réalisa trop tard.
Quelques années, après Le Diable Boiteux ou Le Destin Fabuleux de Désirée Clary, Sacha prend les rênes d’un projet gargantuesque. Alors que les deux films précédemment cités étaient centrés sur l’entourage de Napoléon, paradoxalement pour mieux saisir ce dernier, ici l’exercice est bien différent, étant donné que Napoléon Bonaparte en est le principal protagoniste. C’est sans doute là où le bât blesse. Chez Guitry, il était un personnage secondaire récurrent, mais quel personnage ! Chaque apparition était un grand moment de théâtre, c’est bien plus terne lorsque l’on se le farcit tout au long du métrage. À son habitude, Sacha Guitry distingue le général, de l’empereur, Napoléon, de Bonaparte. Pour l’accentuer, deux interprètes sont choisis (c’est en somme, l’un des rares choix artistiques à considérer): Daniel Gélin pour Bonaparte et Raymond Pellegrin pour Napoléon. Le premier m’a paru bien fade, le second tenant son rôle sans briller. Le reste du casting ne déroge pas à la règle, malgré le fait qu'il soit monstrueux (Erich Von Stroheim, Welles, Gabin, Montand, Schell, Fischer, Marais, Morgan, etc.), de simples apparitions et interprétations sans convictions. Tout cela est bien triste, même Sacha Guitry en Talleyrand n’est que l’ombre de lui-même.
La faute à un projet mort-né dès le départ, pourquoi Guitry serait habilité avec son style à mettre en scène une oeuvre aussi fastueuse ? Simplement, pour son passif sur le sujet, évocateur du rêve de réaliser ce projet. Hélas trop tard, car c’est sans grande inspiration que S.Guitry nous conte la vie de Napoléon de la manière la plus classique du monde. Un film de costume sans âme et d’un creux affligeant… Le plus navrant et dommageable, émane de cet esprit de synthèse qui plane sur tout le récit, ponctué de scènes totalement intitules (comme les intermèdes musicaux). Guitry use et abuse d’éclipses, d’apparitions éclair, et de petites phrases, qui seront pour les néophytes un vrai capharnaüm. Car, la quasi-totalité, des personnages sont survolés ou n’apparaissent pas pour eux-mêmes, mais, semble-t-il, pour leurs interprètes. Seuls Murat et bien évidemment Talleyrand s’extirpent de cette condition d’allusion. Qu’en est-il des scènes de batailles ? Après tout le film s’intitule Napoléon ! Il fallait s’y attendre, elles sont insipides, je dirais même plus illisibles. Il m’a été, en effet, impossible de déterminer la stratégie, voir l’issue du combat, par le biais des images.
On pourrait espérer que Guitry se rattrape dans son domaine de prédilection: la verve et l’anecdote. Pour ce qui est de la verve plus ou moins, par contre concernant l’anecdote, et bien, c’est anecdotique… Pour ceux ayant eu la chance de suivre la carrière de Sacha Guitry, et les films ponctués d’aventures napoléoniennes, rien de bien nouveau. C’est un pot pourri, des scènes et répliques phares sur le sujet (une sorte de best of de Napoléon chez S.Guitry). Ce sont des plans et répliques tout simplement remaniés, mais surtout ambigus dans leur interprétation, car réduits au strict minimum. Prenons la scène emblématique du Le Diable Boiteux concernant l’interaction entre Talleyrand et Bonaparte. Celle-ci ne prend plus en compte la réconciliation et l’admiration mutuelle entre les deux hommes. Elle se contente d’une très courte discussion pour aboutir purement et simplement par: « vous êtes de la merde dans un bas de soie », puis Talleyrand reprend son récit. Cela réduit de manière considérable la complexité du personnage principal, il ressort de cette scène que Bonaparte n’est d’un médiocre, mégalomane, ne valant pas mieux que cet incapable de Louis XVIII.
Sacha Guitry détruit le mythe qu’il a entretenu autour de cette thématique, est-ce parce qu’il s’exprime par la voix de Talleyrand ? Cela serait bien naïf de le croire, certes, ce dernier est le narrateur, voulant, sans doute, corroder la légende Napoléon à son profit. Mais pourquoi son portrait est-il si peu flatteur ? Par modestie ? Cela paraît bien facile pour pardonner à Guitry l’ensemble de ses maladresses.
Alors que reste-t-il de positif dans ce film ? Disons quelques bonnes idées de mises en scène et jeux de caméra (à titre d’exemple la métamorphose du jeune Bonaparte en l’immortel Napoléon). Et pourquoi pas, le plaisir d’assister à ce bal de grandes vedettes de cinéma, se ridiculiser dans des costumes discutables pour la plupart, ou est-ce la colorisation du film, peu flatteuse qui me joue des tours… En considérant cette pièce comme le testament de S.Guitry sur le sujet, un indicible plaisir nous accompagne tout au long de cette aventure napoléonienne. Et quel régal de voir Guitry remettre, sous le masque de Talleyrand, Lana Marconi (qui sera sa veuve) dans le rôle de Marie Walewska à Raymond Pellegrin (Napoléon).
Quand le cinéaste tua l’homme de théâtre.
En suivant l’exemple de Sacha Guitry, à la suite de ce désastre, je ferai le même exercice que ce dernier envers Napoléon Bonaparte, sur lui-même. En voulant se faire un prénom, il ternit son nom (du moins avec ce film). Une forme de mort artistique de Guitry, lorsqu’involontairement Sacha se prend pour un cinéaste.
En bonus, je vous invite à (re)découvrir la fameuse scène du Diable Boiteux