Un sanglier bouilli à la menthe

Déçu, on ne va pas se mentir... Passionné de l'épopée napoléonienne et de cinéma, j'attendais ce film depuis des mois. J'avais fait une croix sur la fidélité historique, les interviews de R. Scott m'ayant montrées qu'il ne connaissait pas grand chose à Napoléon, j'espérais juste un divertissement enlevé, épique et spectaculaire et ça tombe bien c'est ce que laissait entrevoir la bande annonce.

Malheureusement ce n'est pas le cas : l'écriture n'est pas à la hauteur, le Napoléon de R. Scott est quasiment l'expression au premier degré des caricatures anglaises de l'époque en la personne d'une espèce de sanglier parvenu, petit et benêt, qui se comporte comme un rustre (il n'a pas les bonnes manières d'un aristocrate anglais). Le seul moment où le charisme avéré de l'Empereur (il était vénéré de ses hommes et avait une aura indéniable d'après les témoignages de l'époque et ce en dépit de sautes d'humeur ou d'une forme de rudesse non aristocratique) ressort de la performance terne de Phoenix c'est lorsqu'il chouffe du ruskov avec sa longue vue. S'ajoute à cela une absence quasi totale de l'œuvre politique de Napoléon, des tonnes d'ellipses et un manque de profondeur criant pour les différents évènements traités, la faute à de trop nombreuses séquences intimes souvent ridicules (la caricature du mec inapte avec les femmes) malgré Kirby qui fait une prestation correcte... On aurait au moins aimé de la musique et un souffle de grandeur dans ces séquences qui changeaient l'histoire du monde, ce dont les acteurs avaient parfaitement conscience, mais non, Hans Zimmer nous a manqué.

Reste la seule satisfaction du film qui réside dans les séquences de bataille avec des plans qui ont de la gueule. Pourtant même là ça aurait pu être mieux. Austerlitz est un bel exercice de style (ça n'a pas grand chose à voir avec la vraie bataille mais ça à la limite c'est pas grave) mais est trop rapidement expédiée. C'est encore plus vrai pour la Moskova, on ne cherche même pas à instiller un peu de suspense, c'est deux trois plans puis on passe à autre chose. Celle qui comme par hasard est la plus longue est Waterloo, avec forcément des Anglais largement mis en avant (2/3 de l'armée de Wellington venait des Pays-Bas ou du Hanovre mais ça on ne le dira pas) et un apport des Prussiens cantonné à une arrivée dans les dernières secondes alors que ce sont eux qui ont décidé de l'issue de la bataille, sinon un mauvais Napoléon avec une armée formée à la hâte l'aurait quand même emporté sur Wellington. Bref j'aime bien R. Scott mais, comme l'avait dit Phoenix en interview, si on veut en apprendre sur Napoléon il faut lire un bouquin, là c'est la vision de Ridley et cette vision c'est celle caricaturale (encore une fois au sens premier du terme car correspond aux caricatures anglaises de l'époque) d'un homme dont on dit qu'il fut le plus grand tacticien et l'un des plus grands hommes d'État de tous les temps mais qu'on dépeint comme un goret en apnée.

Dommage, il y avait tellement mieux à faire avec ce destin et cette période d'une densité exceptionnelle, une fois de plus Hollywood ne fait pas spécialement honneur à notre histoire, le seul truc c'est que comme Scott est peut-être le seul réal anglo-saxon à traiter la France avec respect habituellement (les Duellistes, Kingdom of Heaven, le Dernier Duel) je ne dirai pas qu'il l'a fait à dessein pour de mauvaises raisons.

Malgré cela il faut espérer que le film fasse des entrées ne serait-ce que pour que le concept d'épopée historique reste attractif pour les producteurs. Quand le cinéma français s'achètera un peu de panache on pourra rêver, à l'instar de ce second volet des Trois Mousquetaires qui sort le mois prochain et qui s'annonce désormais comme le film épique de l'année. Hier j'ai vu une intervention de Thierry Lentz, historien spécialiste de Napoléon, disait que Jean-François Richet et lui avaient commencé à travailler sur une série française traitant de Napoléon et que Pathé était motivé pour le projet. Or quand le studio a cherché un diffuseur parmi les plateformes de streaming on lui aurait rétorqué entre autres que le mâle blanc dominateur ce n'était pas dans l'ère du temps et l'idée a été abandonnée... Cambronne aurait sûrement eut un bon mot pour ces jean-foutre.