Napoléon
5.1
Napoléon

Film de Ridley Scott (2023)

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Je pense que c'est un défi conséquent de noter objectivement un film historique lorsqu'on est passionné d'histoire, mais je vais essayer de le relever aujourd'hui, tout en relevant les erreurs historiques, en jouant le rôle du bon historien.

Je vais diviser cette critique en 3 points, qu'auraient dû assurer le réalisateur et le scénariste afin de faire un bon film, et de comment il y ont réussi sur 5.

1. Un film qui se dit être un biopic de Napoléon (2/5)

Premièrement rappelons le projet pharaonique de résumer la vie de Napoléon de (à peu près) l'exécution de Marie-Antoinette le 16 octobre 1793 à l'exil sur Sainte-Hélène en 1815, en 2h37. Ah ? Première erreur déjà, Napoléon n'a jamais assisté à l'exécution de la compagne de Louis XVI, il était occupé à assiéger Toulon, ville royaliste. On pourrait même noter une deuxième erreur, c'est la présence de la perruque de la reine, alors que celle-ci avait en fait été rasée, mais bref, passons. Résumer Napoléon en 2h37, c'est donc compliqué, voire impossible comme le laisse penser ce film. En effet, jamais le contexte ici ne sera explicité, on passe de la Convention au Directoire, puis du Directoire à l'Empire, comme on défilerait une page Wikipédia avec notre molette, et ce sans même lire le contenu de la page, et en ne prenant connaissance d'aucun fait ni contexte historique, si ce n'est les évènements que j'appelle "directs", par exemple le coup d'Etat du 18 brumaire an VIII (9 novembre 1799). Les ambitions de l'empereur ne sont jamais démontrées, il est ici représenté comme un dirigeant à rêves hégémoniques (ce qui est vrai cette fois), mais dépendant de sa femme Joséphine de Beauharnais, dépeinte comme une femme capable d'influencer Napoléon jusque dans ses choix politiques. Il est vrai que Napoléon aimait beaucoup Joséphine, mais la dépendance qu'elle exerce dans le film est décuplée par rapport à la réalité : exemple ; Durant la campagne d'Egypte, qui débute par magie d'ailleurs selon le film, disons que Napoléon voulait prendre un peu de soleil en Orient.. Après une démonstration de la puissance de feu de la Grande Armée (3 boulets de canons fonçant sur la pyramide de Khéops, avec en face une armée de Mamelouks aussi inexistante que l'engouement qu'a eu le scénariste avec la scène, on note au passage que Napoléon n'a jamais tiré sur les Pyramides ; la fameuse "Bataille des Pyramides" a été renommée ainsi par l'empereur pour un but prestigieux, car en réalité elle s'est déroulée quelques kilomètres plus loin), Napoléon se voit contraint de se retirer en France à cause de la liaison qu'a eu Joséphine avec le capitaine Hippolyte Charles. Ceci est vrai, cependant, d'autres causes majeures non citées dans le film sont à l'origine du départ de l'empereur : l'instabilité politique en France grandissante, avec un Directoire corrompu, mais surtout la Deuxième coalition, formée en 1798, qui comportait la Grande-Bretagne, l'Autriche, la Russie, l'Empire ottoman, le Royaume de Naples, le Portugal et la Suède. Mais bon, notre réalisateur s'est dit qu'il était plus important de mettre en avant cette relation éphémère plutôt que d'enjeux internationaux.

2. Des batailles plus ou moins bien retranscrites (3/5)

Je vais aller droit au but et commencer par les aspects positifs : il est toujours plaisant de voir les batailles napoléoniennes reconstituées sur grand écran, les armées étaient logiques en terme d'effectifs (hormis pour Waterloo), et le caractère épique du stratège est ressentie. Cependant (et je vais encore parler d'histoire), des erreurs non négligeables sont aperçues dans le film. Pour le siège de Toulon : il est mal mis en contexte et bâclé, on ne voit à l'écran qu'une petite troupe d'hommes armés s'avancer à tâtons devant ce que j'imagine être le fort de l'Artillerie (pour ce nom, le fort n'a pas été trop difficile à prendre ça va, suffit de plaquer une échelle contre la paroi et Toulon est pris), non il aurait été ici intéressant, je pense, de montrer l'aspect tactique de Napoléon sous tous ses aspects, l'étude typographique qu'il a mené, durant de longs jours et longues nuits, les missions de corruption d'alliance ennemie (les britanniques s'étaient rallié aux royalistes en raison de but militaire, mais Napoléon a su créer la division entre ces deux camps ce qui a fortement affaibli les stratégies ennemies), alors vous me direz, "ok mais en 2h37 on a pas le temps de passer tous les évènements comme ça" et bien si, seulement cela aurait été possible si le réalisateur s'était mis à réfléchir à cet aspect du film plutôt que de scènes complétement inutiles, par exemple la scène ou Napoléon fait mumuse avec Joséphine en passant sous la table et en se réduisant à une intelligence semi-primaire, une scène sans aucun intérêt. Pour la bataille d'Austerlitz, c'est assez bien retranscrit malgré des erreurs : les Français ne possèdent pas le plateau de Pratzen dès le début, et le film efface donc complètement la charge héroïque de Jean Lannes, mais encore ça n'est pas dramatique pour le film, et on notera aussi que la scène où les Autrichiens tombent dans l'eau gelée est fortement exagérée, il me semble qu'on en compte moins d'une dizaine morts comme ça. Enfin, pour Waterloo, là il y a des soucis. On nous présente la bataille comme une rivalité enfantine, deux gosses de 8 ans qui ont fait bien comme il faut leur rangée de soldats alignés, prêts à faire leurs avancées... En réalité la bataille de Waterloo est extrêmement sanglante, la violence et l'horreur ont vite remplacer le génie tactique des dirigeants, qui est devenu définitivement obsolète lors de l'arrivée des Prussiens. Pour rappel, cette bataille qui s'est déroulée donc le 18 juin 1815, a fait environ 50000 morts, et ce en l'espace de moins de 10h.

3. Une relation entre Napoléon et Joséphine poussée à l'extrême (1/5)

Dans ce film en tant que connaisseur de Napoléon c'est ce qui m'a le plus choqué. On nous présente Napoléon comme un type réduit à sa femme, TOUT le temps et dans TOUS les aspects de sa vie, notre Napoléon n'a jamais envie de blesser sa première amourette, sous peine qu'elle le prenne mal, alors il prend soin d'elle, s'amuse à faire le chien-chien avec elle, lui dit je ne sais combien de fois qu'elle est importante pour elle, à croire que le film est un biopic de Joséphine de Beauharnais uniquement. Seulement attention, dès qu'il s'agit de faire un enfant pour la descendance de l'Empire, alors là on s'empresse de divorcer, on fait les papiers etc, on lit bien comme il faut le texte devant le prêtre, (vous me direz c'est mieux que de prendre la couronne et de victimiser le pape lors du sacre du 2 décembre 1804 mdr) Joséphine pleure mais ce n'est pas grave, Napoléon reste stoïque et se dit que de toute façon, il veut une femme seulement pour faire un gosse impérial. C'est du grand n'importe quoi, le film se contredit, oui c'est vrai que Napoléon a opté pour Marie-Louise d'Autriche car Joséphine ne lui donnait pas d'enfant, mais alors pourquoi avoir autant insisté sur sa dépendance vis-à-vis de Joséphine pour qu'il la jette au final comme une éponge ? Ce qui est au passage bien retranscrit est la relation amicale qu'entretient l'empereur avec son ex-épouse durant les années qui ont suivi le divorce (en 1809), mais là encore c'est abusé à quel point les minutes à l'écran de Joséphine sont comptées, on ne voit qu'elle. Et alors là bouquet final : SPOILER : sur le dernier screen du film on nous apprend que les derniers mots de l'empereur lors de sa mort furent "Armée, France, Joséphine", absolument pas : ses derniers mots rapportés selons plusieurs récits seraient "armée, tête" ou peut-être "armée, France", mais rien ne cite Joséphine, alors Scott se dispensera de nous faire l'historien.

En somme, ce film avait de grandes ambitions, la possibilité de rendre clairement à l'écran le grand homme qu'était Napoléon Bonaparte, mais trop limité à cause du format, du mauvais choix de scénario et des erreurs historiques, on ressort de la salle de cinéma avec un goût amer dans la bouche, et toujours encore, l'envie de croire qu'un jour enfin le Septième Art saura honorer l'ancien Empereur.

Noia1799
4
Écrit par

Créée

le 21 janv. 2024

Critique lue 20 fois

2 j'aime

Noia1799

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