Evacuons d’emblée un écueil : pour moi, un film, même s’il se dit historique ou biographique, même s’il est très documenté ou écrit avec une cargaison d’historiens réputés, reste une oeuvre de fiction. Donc la réalité historique n’est pas à mes yeux un critère pour juger une telle oeuvre (et heureusement, parce que dans le cas du film qui nous intéresse ici, ou nous intéresse relativement peu d’ailleurs, j’aurais abandonné au bout de cinq minutes…).
(M’enfin, Ridley, quand tu fous une telle merde historiquement parlant, ne viens pas faire une campagne de presse en disant que tu as travaillé avec des historiens spécialistes du sujet…)
Donc, certes, si ce Napoléon (que j’ai vu uniquement en cette version longue) est complètement foiré, ce n’est pas à cause de cela.
Dès les premiers moments du film, Scott nous montre un Napoléon isolé au milieu d’une foule. Un procédé qui se répétera dans ce début de film : Bonaparte est celui qui se dresse, seul, face aux foules. Seul calme à côté d’un peuple déchaîné qui conspue d’ancienne reine (il y aurait beaucoup à dire sur la représentation de la Révolution, une Révolution qui, ici, se limite à la seule Terreur et au courage des braves nobles et religieuses exécutées qui tiennent bon face à l’oppression populaire, comme s’il y avait une opposition fondamentale entre la prétendue dignité de la noblesse et l’indignité du peuple). Bonaparte est celui qui se relève alors que son cheval est abattu et qui reprend à pied l’assaut qu’il venait de commencer. Bonaparte est celui qui se dresse face au peuple, à nouveau, et n’hésite pas à lui tirer dessus à grands coups de canonnades.
En gros, dans une France affaiblie par la Révolution, Napoléon est le seul qui ose affronter les ennemis, quels qu’ils soient.
L’idée pouvait être intéressante : Napoléon, celui qui affronte les divisions du peuple pour mieux pouvoir le souder derrière lui dans une épopée à la fois fantastique et monstrueuse. Sauf que l’idée est abandonnée : le peuple disparaît du film une fois la Terreur passée. Et ce sera une constante du film : chaque fois qu’une idée potentiellement intéressante fera son apparition, elle se noiera dans le fracas du récit. Ainsi, en pleine campagne d’Egypte, au milieu de scènes d’un ridicule achevé, nous avons ce court moment, presque en suspension, où Napoléon se retrouve face à une momie. Là, on frôle quelque chose, une potentielle réflexion sur la vanité du pouvoir et des rêves de grandeur. Mais cela ne dure qu’à peine une minute et disparaît à jamais du film.
Mais au profit de quoi Scott décide-t-il de sacrifier tout cela ?
Au profit de la seul Joséphine. Ou plutôt de la seule relation entre Napoléon et Joséphine.
Déjà, lorsque l’on fait une « biographie » de Napoléon, décider de consacrer une heure pleine et entière aux seuls déboires conjugaux de Napoléon et Joséphine, il fallait oser. Mais Scott va plus loin encore : par le jeu de voix off aussi envahissantes que gênantes, il fait de cette relation le véritable moteur de l’action de Bonaparte. Joséphine est là, tout le temps, partout; et quand elle n’est pas présente physiquement, l’obsession qu’elle représente envahit quand même le propos du film. Jusqu’à l’extrême fin du film, puisqu’un texte nous affirme que le prénom de l’ex-épouse de l’empereur est le dernier mot qu’il aurait prononcé.
Voilà donc l’angle sous lequel Ridley Scott attaque le monument napoléonien. A voir le résultat, ce n’était sans doute pas ce qu’il y avait de plus pertinent. D’autant plus que, puisqu’il passe un temps fou à nous parler de ces problèmes de couple, Scott est obligé de filer à toute allure sur le reste, supprimant des passages entiers de la geste napoléonienne (Arcole ? Jamais entendu parler) et faisant allègrement disparaître les transitions entre les scènes et les époques, quitte à sacrifier la cohérence de son récit. Le montage semble fait à la hache, coupant indistinctement les scènes et les séquences.
Cela donne un film qui semble ne jamais vraiment débuter. Ou plutôt, chaque fois qu’il donne l’impression de démarrer, il s’interrompt brutalement, se fracassant sur la scène suivante.
A cela s’ajoutent de nombreux éléments gênants. L’un est anecdotique : l’âge du personnage. Au début du film, Napoléon a 25 ans, mais il en paraît bien 50. Et il ne vieillira plus de tout le film. Quelqu’un de l’expérience de Ridley Scott ne peut pas avoir laissé passer une telle erreur : c’est donc sciemment qu’il a décidé que son Napoléon serait vieux, même quand il était jeune. Dans quel but ? Je n’ai pas trouvé…
Autre chose, bien plus gênante : l’aspect visuel du film. J’ai lu dernièrement un article sur l’effacement des couleurs dans une certaine production cinématographique récente. En voici ici un bel exemple : dans ce film, tout est gris, avec des nuances de gris clair.
N’y a-t-il donc rien à sauver ?
La prestation de Vanessa Kirby.
Un Rupert Everett que j’ai l’impression de ne pas avoir revu depuis très longtemps.
Et une bataille d’Austerlitz qui n’est certes pas mémorable mais qui, comme un mont de 200m au milieu du plat pays, se remarque avec plaisir.
Résultat : j’ai rarement vu un film qui soit autant à côté de la plaque, passant complètement à côté de ce qui pourrait faire l’intérêt du sujet. Et puisque tout le monde semble unanime pour dire que cette version longue est bien meilleure que le montage sorti au cinéma, je n’ose imaginer le désastre que ça a pu être.