Narco Cultura
7.9
Narco Cultura

Documentaire de Shaul Schwarz (2013)

Dans un épisode de The shield, les policiers découvrent l’existence des "narcocorridos", un genre musical Mexicain où des crimes réels sont relatés dans les paroles des chansons. Curieux de savoir quelle était la part de vérité ou de fiction là-dedans, j’ai découvert que ça existait vraiment, et la page Wikipedia m’a appris qu’il y avait même un documentaire sur le sujet : Narco cultura.


C’est surprenant que ce documentaire ait pu être filmé, au plus proche de son sujet, quand on voit la description qui est faite d’un des principaux lieux de tournage, Juarez, la capitale Mexicaine du trafic de drogue. Cette ville à elle seule compte des milliers de morts chaque année, des chiffres qui ne cessent d’augmenter depuis le début de la "guerre de la drogue".
L’environnement dépeint est effarant, la mort semble tellement commune qu’on peut notamment voir des gamins parler de proches décédés, victimes de balles perdues, avec détachement complet. Ou un commerçant nettoyer le sang sur le trottoir comme d’autre le feraient pour des détritus.
La grosse majorité des crimes restent irrésolus, les enquêteurs étant dépassée, et la pression et la peur font démissionner les policiers, tandis que d’autres se font exécuter.
En écrivant ça, j’ai l’impression de décrire Sin city, mais non, il s’agit d’une réalité.
Ironiquement, juste de l’autre côté de la frontière Américaine, El Paso au Texas est l’une des villes les plus sûres des Etats-Unis. Et que ce soit là-bas ou au Mexique, les narcocorridos connaissent un succès grandissant.


C’est un véritable commerce, bien rôdé et florissant ; les chanteurs reçoivent des commandes directement de la part des gangsters, qui veulent une hymne à leur nom, et on a l’occasion de voir cette situation cocasse où le parolier note tous les détails des activités criminelles d’untel, pour pouvoir écrire la chanson.
Je ne me serais jamais douté que c’était à ce point intégré à la culture : c’est la musique que les latinos écoutent en boîte, le genre a ses superstars, et les fans connaissent les paroles par cœur.
Le contraste est hallucinant entre l’amusement du public durant les concerts et la violence des textes, qui ne parlent que de flingues, de drogue, et de tueries (bon ok, c’est pareil dans le rap français, sauf que c’est juste des conneries).
La musique fait littéralement l’apologie d’un mode de vie qui fait des milliers de victimes… et ces cons dansent dessus !
Les producteurs se réjouissent du succès des narcocorridos, les musiciens sont contents de la violence de leur pays et affichent leur respect pour les trafiquants, …
Parmi un groupe d’ado, une jeune fille raconte même qu’elle rêve de devenir la copine d’un narco.
Je ne comprends pas que ces demeurés ne se rendent pas compte de la réalité qui les entoure.


Le documentaire nous fait constater l’absurdité de la mentalité de ceux qui participent à cette "narco-culture"… mais n’en profite pas assez pour la mettre en opposition avec un point de vue moins à l’ouest. Il n’y a même pas un seul moment où les flics ou d’autres représentants de la justice ne sont interrogés sur les narcocorridos, sur leur influence sur la population, etc…
Il n’y a même pas un expert qui puisse nous aider à comprendre pourquoi le public perçoit les trafiquants comme des héros, alors qu’il doit y avoir une explication historique et/ou culturelle. Il faut attendre 1 heure avant qu’une journaliste ne donne, vite fait, quelques pistes, en supposant que les narcos représentent une forme de succès pour la population pauvre. D’ailleurs, il y a carrément un cimetière, essentiellement occupé par ces gangsters, où les tombeaux sont tellement immenses qu’on se croirait dans une ville (je peux dire sans trop de risques que certains de ces mausolées sont plus grands que mon appartement).
Mais la plupart du temps, le documentaire ne fait que constater, sans expliquer.


Narco cultura souffre aussi d’un manque de structure, on y passe trop d’un sujet à un autre, sans qu’il ait été pleinement développé. On parle soudain d’El Chapo, le boss du plus gros cartel, on évoque vite fait le rapport entre les USA et le Mexique, et sans creuser davantage, on repasse à un des chanteurs de narcocorridos.
Le fait d’alterner entre les policiers et les criminels n’était pas une mauvaise idée, mais ça aurait pu être mieux organisé aussi.
Il n’y a pas de progression thématique, on peut tout d’un coup se retrouver à voir une interview d’un type en prison, sans que rien nous y ait amené.
D’un point de vue technique, je reprocherais aussi cet usage de flou sur certaines zones de l’image, pour concentrer le regard sur un élément en particulier ; mais j’ai trouvé ça inutile et plutôt gênant.


Ce qui fait l’intérêt du documentaire, ce sont ses intervenants, et la présentation d’une culture dont l’existence m’était totalement inconnue. Mais pour moi il y a tellement d’opportunités manquées, pleins d’idées et de thèmes qui ne sont que survolés. Il aurait fallu expliquer le rapport entre le public et les narcocorridos, peut-être mettre en lien la banalisation de la violence et le fait que gamins rejoignent les narcotrafiquants (on apprend à un moment qu’un meurtre a été commis par un gosse de 15 ans), parler plus en détail de la corruption, aller plus loin après cette question-piège adressée à l’agent de la frontière Américaine, qui dit que le nombre de gens essayant de traverser a diminué mais ne sait pas si ça représente une baisse du trafic de drogue, …
Tout ça est plus ou moins évoqué, volontairement ou non, mais on n’en reste qu’à la surface.

Fry3000
5
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le 7 mars 2017

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Wykydtron IV

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