Cinq jours, une bonne vingtaine de personnages principaux, des chansons. Voilà les trois unités qui construisent Nashville, portrait d’une ville définie par sa musique qui investit chaque rituel, de la messe au déjeuner sur l’herbe en passant par la vie nocturne. Cette musique advient difficilement et semble naître de la douleur, en témoignent l’émotion que suscite une performance auprès du public, les malaises et autres perturbations pour cause de santé, les coups de feu qui, à terme, ne sauraient pourtant faire taire la musique. « Show must go on », pour reprendre une formule encore embryonnaire au moment où Altman réalise. Le choix d’un film choral et d’une polyphonie qui accorde une place de choix à l’improvisation des comédiens lors des scènes de dialogues, choix musicaux par excellence, traduit également le dynamisme d’une ville qui voit arriver des flopées d’artistes soucieux de tenter leur chance comme d’autres franchissent les portes de Los Angeles pour, peut-être, devenir acteurs.
Aussi Nashville fait-il œuvre politique : il représente les forces en présence d’une ville et d’un pays, forces unies ou désorganisées derrière la bannière étoilée, qu’il s’agisse de candidats aux prochaines élections, de la masse qui s’agglutine dans les tribunes ou aux portes vitrées des aéroports, d’une bande de musiciens ou d’une équipe de journalistes, de conseillers. L’image privilégiée du long métrage compose, grâce au format Scope, des plans larges embrassant une multitude de personnages tantôt définis tantôt indéfinis ; le nombre fait la ville et son rayonnement, qu’il s’agisse des foules de spectateurs ou de la défilade de cars rangés dans un parking qu’arpente la reporter anglaise de la BBC. Cette largeur scopique adoptée par le cinéaste révèle aussi les tensions entre communautés, la violence symbolique ou physique de la multitude à l’égard de l’individu : le racisme quotidien, la dégradation de la femme réduite à un corps se déshabillant – peu importe alors sa performance vocale –, le désaccord politique qui conduit à l’irréparable… Nashville grouille et risque, à tout moment, d’imploser : la convergence des destins ici montrés se produit autant par la rencontre réelle, physique, que par les retransmissions radio ou télévisées ; tout le monde est projeté au même endroit sans critères préalables et doit formuler ou subir un jugement d’ordre esthétique et donc politique.
Les gros plans sur le drapeau américain interrogent la valeur de ces étoiles qui paraissent ici clignoter et décliner, la faute aux intérêts de chacun qui dégradent la beauté naïve des ballades accompagnées au banjo et à la guitare. La fresque peinte par Altman, si elle pèche par des longueurs inutiles, se saisit de Nashville comme d’une brillante allégorie de la démocratie en Amérique, non idéalisée, non plus théorisée, mais appliquée et vécue dans son quotidien tumultueux.