"Native Land" est du point de vue purement cinématographique, dans son contenu, un film assez peu engageant, mélange d'images d'archive ou documentaires et de petits bouts de fiction établissant le portrait d'un syndicalisme malmené par le bras armé du patronat. Les séquences mises en scène ne brillent pas par leur profondeur (quand bien même elles jouiraient d'une photographie remarquable dans l'ensemble), et la voix puissante de Paul Robeson, mobilisé pour l'occasion dans les commentaires qui assurent le lien entre les morceaux indépendants et le fil rouge du film, ne parvient pas à renverser la vapeur. En revanche, d'un point de vue historico-contextuel, si l'on prend en compte le fait qu'il s'agit d'un film américain du début des années 40, cette illustration de la violence de milices patronales contre les tentatives d'union des travailleurs prend une toute autre couleur.
L'Amérique des 1930s vue à travers la caméra résolument militante du photographe Paul Strand (pas encore exilé en France suites aux persécutions de la commission des activités antiaméricaines) : le film, dans sa partie fictionnelle, serait en réalité basé sur les résultats d'une commission d'enquête sénatoriale visant à révéler des violations de droits civiques au sein d'entreprises américaines et correspondrait à des "reenactments", des reconstitutions de faits avérés. Il est question d'espionnage, d'organisations antisyndicales, d'intimidations allant jusqu'à la mise à mort. Des syndicalistes assassinés, un fermier tabassé pour avoir osé prendre la parole en réunion, des métayers tués par des hommes sur ordre du shérif local, et même un espion sous chantage contraint de donner les noms de membres d'un syndicat — et même une petite excursion du côté du Ku Klux Klan avec séquence goudron et plumes pour des politiques démocrates qui ont l'air beaucoup moins drôle que dans les bandes dessinées.
Ce qui fait tout le sel d'un tel document, c'est que ce discours rouge contre le grand capital s'inscrit dans le cadre d'une déclaration plus large célébrant le patriotisme américain et sa supériorité démocratique avec toute l'emphase habituelle, martelée dans une introduction très bourrine célébrant l'histoire des États-Unis, la conquête de ce territoire d'une côte à l'autre (sans une seule seconde mentionner le sort des Indiens, au hasard), pour refermer le film sur le symbole de la statue de la Liberté bien évidemment. Unilatéral et extrêmement simpliste, mais tout de même une vraie curiosité.