Cette critique fait partie des listes "CUT (Director's Cut - Workprint - Unrated...)
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et "Un Film, des scénarios"
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Je ne vais pas refaire la genèse de ce film, d'autres ont sûrement dû le faire à de multiples reprises.
Tout le monde sait que Quentin Tarantino a vendu 2 scripts pour se faire un peu d'argent, avant de finalement pouvoir réaliser son premier film Reservoir Dogs, en 1992.
Il s'agit de True Romance (portée à l'écran par le regretté Tony Scott en 1992) et donc, ce Natural Born Killers.
Ce n'est pas un secret que QT déteste l'adaptation qu'en a faite Stone, et ne s'est jamais caché de le clamer à plusieurs reprises...
Pour écrire cette critique, je me suis mis à lire le script original de Quentin Tarantino, tout en regardant le film dans sa version Director's Cut.
Alors, passons directement aux différences entre le script de QT et la version filmée, réécrite par Richard Rutowski, David Veloz et Oliver Stone.
La première séquence dans le bar est à 90% identique au script de QT, à la réplique près.
Tant et si bien que quand j'ai commencé à lire la version QT, j'ai cru qu'il s'agissait en fait d'une transcription littérale du scénario de Stone !
Mais non, car la séquence suivante (après un court générique où le titre du film s'étale sur l'écran à la mode 50's), nous nous trouvons en compagnie du Détective Jack Scagnetti (aussi auteur du best-seller "CURTIS FOX: The Capture and Death of a Serial Killer") dans un poste de police, en compagnie du Capitaine Squery et de C. Dwight McClusky, le directeur du Comité Pénitentiare de Californie.
Mickey et Mallory Knox doivent être transférés de la dite prison du Comté au Nystrom Insane Asylum (un asile d'aliénés) de Bakersfield.
McClusky annonce à Scagnetti que son aura médiatique dû à son travail exemplaire et son bouquin qui fait référence aux yeux du public, il est la personne toute désignée pour accompagner les Knox à l'asile de Bakersfield, surnommé "Lobotomy Bay" (la Baie de la Lobotomie, en raison des traitements infligés aux fous criminels).
Alors qu'ils se rendent dans la prison, McClusky explique que Mickey et Mallory ont assassiné les parents de cette dernière comme dans le scénario de Stone (soit noyade dans l'aquarium pour papa et barbecue pour maman), mais le scénario de QT ne montre que de brefs flashbacks au premier degré, là où ça devient une parodie sitcomesque au second degré chez Stone, iconisant les deux psychopathes.
C'est d'ailleurs là toute la différence entre le script de Tarantino - qui est très sérieux et noir -, et celui de la grotesque pantalonnade choisie par Stone, voulant rendre le couple "iconique", en poussant dans la surenchère visuelle, cartoonesque et finalement trop "cool" pour son bien.
Je soupçonne aussi Stone d'avoir voulu faire de la provocation pour de la provocation, bien que ce ne soit pas non plus chose inédite dans le travail du réalisateur...
Nous avons ici un bref flashback où Mallory (dans le bureau de la psychiatre) s'adresse à la caméra/la psychiatre:
-"I don't owe you an explanation! I don't owe you shit! I'm not here for you entertainment. If I don't tell you what you wanna hear, what are you gonna do?
Throw me in jail?
I'm already there, you stupid pigfucker.
You gonna give me some more time?
I've already got life.
What else you got to threaten me with?
Death?
I'd like to see you fuckin' try. I haven't met one motherfucker here who's shown me shit!"
(-"Je vous dois aucune explication ! Je vous doit que dalle ! Je suis pas ici pour vous divertir. Si je vous dis pas ce que vous voulez entendre, vous allez faire quoi ?
Me foutre en taule ?
j'y suis déjà !
Vous allez me donnez du rab ?
J'ai déjà pris perpète !
Avec quoi vous allez me menacer ?
La mort ?
J'aimerais foutrement voir ça ! J'ai pas encore rencontré un connard ici qui m'a fait quoi que ce soit "!)
On retourne au présent où Mallory chante "Long Time Woman" de Pam Grier à tue-tête dans sa cellule, alors que McClusky la présente à Scagnetti.
Mallory s'arrête de chanter, les observe un bref instant (en POV), puis se jette d'un coup tête la première contre les barreaux et s'effondre sur le sol, sonnée, le cuir chevelu entaillé et saignant sur le sol.
McClusky rassure un Scagnetti surpris, en lui disant qu'elle fait ça à chaque fois.
On est donc loin du Scagnetti un peu pervers mais surtout borderline, joué par le regretté Tom Sizemore chez Stone, reniflant de la culotte (jamais compris ce fétiche, je dois dire...) puis imaginant Mallory se tortiller sur le capot de la 'Vette et de faire de la cabotin...
Revenons au script de QT: Après le knock-out auto-infligée de Mallory, McClusky emmène Scagnetti à l'autre bout du couloir et il lui présente le superintendant Phil Wurlitzer, qui leur apprend que Mickey a un visiteur de marque: le fameux journaliste Wayne Gale.
Gale se présente à un Mickey enchainé aux pieds et poignets , mais Mickey lui fait savoir qu'il le connait de nom, puis alors que Gale lui explique que son émission intègre un épisode concernant le couple Knox, Mickey lui demande ce show a fait mieux que ceux de Bundy, Gacy et Manson...
Nous voyons ici que la version QT et la Stone sont très similaires, de Mallory se jetant sur la porte à Mickey écoutant bavasser Gale, mais dans le film, la scène intervient à la fin de la première heure de film, aors que dans le script de QT, ça se passe bien en amont.
Mais chez Tarantino, nulle trace de la séquence avec les Natifs Amérindiens, ni de bad trip et évidemment, aucune morsure de serpent ni de visite dans la pharmacie menant à l'arrestation over-the-top des Knox, pas plus que de Scagnetti assassinant la prostituée sur un coup de folie...
Non, Stone en a rajouté des tonnes dans le graveleux et le film ressemble à un bulldozer défonçant le buiding de Tarantino, conduit par un dégénéré shooté aux méthamphétamines !
Après l'interview, on retrouve Mickey dans sa cellule en train d'écrire une lettre à sa Mallory,
La scène suivante est un court flashback où l'on voit Mallory danser sur le capot de la '68 Cadillac Coupe De Ville (rappelant la '74 Cadillac Eldorado de True Romance, un autre scénario de QT non réalisé par lui...), avec la voix-off de Mickey lui déclarant son amour.
Puis s'ensuit toute une longue séquence en compagnie de Gale et son staff qui prépare l'émission spéciale Knox.
Lors du show, l'on voit des home movies qui Mickey et Mallory se mariant civilement en présence d'un juge, qui Mallory surprend Mickey aux toilettes, qui...
Bref des scènettes du quotidien les montrant comme un couple banal, donc aucune affèterie trasho-MTVesques dont Stone caviardera à outrance tout son métrage.
Nous y voyons d'ailleurs des scènes avec les parents de Mallory, qui n'ont rien des déchets présents dans la version Stone et faisant d'eux des parents aimants, rendant finalement plus choquant leurs meurtres brutaux par leur propre fille.
Soit tout l'inverse de chez Stone, où leurs morts sont justifiées de manière archi-stéréotypées (papa Mallory la viole et mama Mallory voit tout mais ne dit rien...) et empêche toute empathie à leur égard.
Puis nous nous retrouvons devant l'arrestation musclée du couple filmée à la COPS ("Bad Boys, Bad Boys, what ya gonna do, what ya gonna do when they come for ya..."), soit à la caméra portée à l"épaule.
Gale continue son récit et nous voyons la vidéo des caméras de sécurité lors d'un braquage sanglant d'un 7/ Eleven par les Knox, les hommages aux trois flics abattus...
Ensuite, Gale nous raconte via des images télévisées, le fameux procès du couple de psychopathes, tournant à la foire.
Suit le micro-trottoir où Gale demande aux passants ce qu'ils pensent des Knox, avant d'enchainer avec une séquence dans un club de gym, où Gale demande aussi à deux frères culturistes ce qu'ils pensent des Knox et eux d'expliquer pourquoi ils les admirent.
Le show de Gale continue et cettefois, il
vante les mérites du film basé sur les exactions des Knox, appelé "Thrill Killers".
La séquence suivante nous montre des extraits de la biopic Hollywoodienne des Knox, entrecoupées de scènes d'interview de Neil Pope, le réalisateur de "Thrill Killers", ainsi que de Jessie Alexander Warwick (l'interprète de Mickey Mallory) et de Buffy St. McQueen (Mallory à l'écran)
JESSIE
"One thing about Mickey for sure, he's
definitely a man who has his moments.
It was wild playin' him. It was one of
those get-it-out-of-your-system
performances."
(Un truc de sûr sur Mickey, c'est qu'il est définitivement un mec qui a ses moments.
C'était trippant de le jouer. C'était une expérience cathartique !)
BUFFY
"I didn't play Mallory, the murderer. I didn't play her as a butcher. I played her as a woman in love, who also happens to murder people. I didn't want her to be at arm's length from the audience or myself.
If you play her as this wild maniac, the audience never has to deal with her. If you see a
decapitation in a movie, you just say`Oh wow, a neat special effect.'
Because you can't relate to a decapitation. It doesn't mean anything
to anybody because it's not personal.
Decapitations don't fall into most people's realm of life experiences.
But if you show somebody in a movie getting a paper cut, the whole audience
squirms. Because everybody can relate to a paper cut.
(Je n'ai pas joué Mallory la meurtrière. Je ne l'ai pas interprété comme une bête. Je l'ai joué comme une femme amoureuse à qui il arrive aussi de tuer des gens. Je ne voulais pas qu'elle soit trop distante vis-à-vis du public ou de moi-même.
Si vous la jouez comme étant une maniaque incontrôlable, le public ne voudra pas s'y raccrocher. C'est comme quand vous voyez une scène de décapitation dans un film. Vous vous dites: "Wow, c'est un chouette effet spécial", parce que vous ne pouvez pas vous identifier dans une scène de décapitation. Ça ne signifie rien pour personne car ça n'a rien de personnel.
Personne n'expérimente jamais une décapitation dans sa propre vie.
Mais si vous montrez quelqu'un dans un film qui s'entaille le doigt avec une feuille de papier, les spectateurs se sentent mal à l'aise, parce que tout le monde peut expérimenter cela."
WAYNE (O.S = ça veut dire "OFF-SCREEN", soit "hors écran.")
Did you meet the real Mallory Knox?
(Avez-vous déjà rencontré la vraie Mallory?)
BUFFY
I tried to, but she wouldn't see me. But I read some letters she wrote to Mickey before the murder spree.
They helped me out a lot.
(J'ai essayé, mais elle ne voulait pas me voir. Mais j'ai lu certaines des lettres qu'elle avait écrite à Mickey avant la vague de meurtres.
Elles m'ont beaucoup aidées.)
Comme le dit finalement le réalisateur de "Thrill Killers" (et par extension QT):
"It is my belief that Mickey and Mallory Knox are a cultural phenomena that could only exist in our sexually repressed society. A flower that could only bloom amidst a grotesque fast food
culture.
A what I tried to do with`Thrill Killers' was trace the root of the problem all the way down the vine to the original bad seed.
Yet amidst the violence and murder and carnage, you've got the structure of a Wagnarian
love story."
("Je pense que Mickey et Mallory Knox sont un phénomène culturel qui ne pouvait exister que dans notre société sexuellement répressive. Une fleur qui ne pouvait germer qu'au sein de cette grotesque culture fast-food.
Ce que j'ai essayé de faire avec "Thrill Killers", c'était de remonter à la racine du problème, de la vIgne à la mauvaise graine.
Au milieu de toute cette violence, ces meurtres et ce carnage, vous avez cependant la structure d'une histoire d'amour Wagnérienne".)
Grâce à cette longue séquence, QT exprime sa totale compréhension du cinéma et du côté fake de celui-ci, car la dramatisation dénature souvent les évènements ou personnes impliquées dans les films inspirées d'une histoire vraie et/ou dans un biopic.
Par exemple, comparez donc le Monster de Patty Jenkins avec la vraie vie et personnalité d'Aileen Wuernos (bien plus nuancée et bien moins Butch - lesbienne masculine - que la représentation qu'en fait Charlize Theron) et Tyria Moore (quasi innocente dans le film, alors que dans la réalité, c'était une vraie connasse qui aurait méritée d'être exécutée à la place de Wuernos pour ses mensonges à répétitions, sa trahison envers Aileen et la complicité active dans les crimes uniquement imputées à son amante).
Monster est donc un très bon exemple de dramatisation allant dans le sens d'un réalisateur, d'un scénariste ou d'un studio et c'est exactement ça que Tarantino dépeint au travers des dialogues de Buffy St. McQueen, concernant son interprétation de Mallory Knox dans le biopic "Thrill Killers".
Arrivent ensuite quelques interviews d'admirateurs des Knox (Japon, France), puis Gale raconte l'histoire de Grace Mulberry, une adolescente ayant réussi à échapper à la tuerie perpétrée par les Knox lors d'une soirée étudiante.
Grace va témoigner lors du procès des Knox et raconter dans le détail ce qu'il s'est passé ce jour-là..., face à un Mickey Mallory qui est son propre avocat et est donc autorisé à questionner la pauvre Grace sur son frère, ses amies..., qu'il a lui-même froidement assassiné !
Après cette longue séquence où Knox prend un maliln plaisir à torturer psychologiquement la pauvre Grace, nous retrouvons Scagnetti qui va discuter avec Mallory dans sa cellule...mais sans aucun côté sexuel perverti comme dans le film, puisque chez Tarantino, Scagnetti est un flic droit et intègre qui méprise à mort la tueuse en série.
La séquence du Mace dans la face de Mallory est déjà présente chez QT, mais contrairement au film (où Mickey s'est déjà échappé et vient libérer sa nana, et que celle-ci abat Scagnetti d'une balle dans la tête après l'avoir à moitié égorgé), celui-ci ressort bien vivant de la cellule avec les deux autres gardes, laissant une Mallory hurlante se tortillant sur le sol, les yeux gonflés et une douleur atroce les lui vrillant.
La prise de pouvoir de Mickey pendant l'interrogatoire a lieu maintenant mais ici, Scagnetti est scotché dos à dos avec Gale et ils se dirigent tous vers la cellule de Mallory,
Puis, tout ce petit monde se retrouve face à Wurlitzer & Co et au lieu de tirer dans la main de Gale comme dans le film, Mallory lui balance une décharge dans la jambe.
Le reste du film se déroule peu ou prou comme le script de QT, avec une fin très similaire (Gale se fait descendre par les Knox, puisque la caméra est le dernier témoin), mais se déroule dans un lieu différent.
En conclusion, Stone n'a pas réellement trahi le script de Tarantino, puisqu'il utilise une grande majorité des dialogues de QT mot à mot.
Non, l'ire de QT tient au fait que son script sérieux parlant des médias (TV trash et cinéma réarrangeant la vérité) ait été illustré avec force grandiloquence, apologie de la violence grotesque, gratuite et cartoonesque, faisant de Natural Born Killers un ride putassier over-the-top évacuant tout sous-texte, pour vomir un fatras d'images bordéliques, d'acteurs forçant par trop le trait, et d'une esthétique trash mâtinée de visuels clipesque cher à MTV.
Le script destinés à des adultes s'est transformé en maison des horreurs pour ados en mal de repères.
Le film de Stone est-il mauvais pour autant ?
Non, il ne l'est pas, mais la chose reste quand même asez vaine dans le fond, bien qu'agressif dans la forme.
Le Director's Cut appuie encore plus le trait et mérite d'être vu, car plus proche de la vision dantesque que Stone s'en était fait en l'écrivant.
Le petit plus du film, c'est l'excellente Juliette Lewis qui vampirise l'écran à chaque apparition.
Lewis est une actrice sous-estimée, car elle est autant capable d'interpréter une Walkyrie meurtrière comme ici, qu'une chanteuse Punk (ce qu'elle est aussi d'ailleurs dans la vie) dans Strange Days, une jeune femme toute timide (From Dusk Till Dawn) ou même une ado paumée, naïve, soumise et manipulable à 'envie domme dans les excellents (et méconnus) Too Young Too Die et Kalifornia.
Elle fait pourtant ici équipe avec un génial Woody Harrelson, secondés par un Tommy Lee Jones hystérique (qui le sera encore plus l'année suivante dans l'affreux Batman Forever) et un Tom Sizemore complètement barré.
Si l'on enlevait ce cast géant, nul doute que Natural Born Killers n'aurait pas eu l'impact qu'il a eût depuis sa sortie.
Après, NBK est-il coupable d'avoir provoqué des tueries aux USA (la fusillade de Colombine), en Angleterre et en France ?
Non, car le film ne reflète en rien la réalité, avec ses débordements cartoonesques (les quelques plans animés représentant un Mickey au physique sur-développé, appuyant encore plus le côté irréel), ses vidéos rétroprojetées dans chaque fenêtre au cours de plusieurs séquences, ses personnages hystériques...
Les tueurs des USA, France et Angleterre étaient déjà marteaux dans leurs têtes et si un responsable il pourrait y avoir, ce serait bien les médias télé et leurs complaisances à faire des émissions spéciales avec force détails sur les méthodes des criminels pour occire leurs prochains, secondées par les publications genre Le Nouveau Détective en France et leurs équivalents Anglo-Saxon, exploitant des affaires de meurtres avec une minutie morbide sans vergogne pour faire augmenter leurs tirages...
Le Natural Born Killers de Tarantino - s'il avait eu la possibilité de le réaliser - se serait plus rapprochés des sombres et bien plus réalistes Badlands (1974), Too Young To Die (1990) et Kalifornia (1993, d'ailleurs interprétés dans ces deux derniers, par le couple Juliette Lewis (déjà) et Brad Pitt) où deux jeunes paumés dessoudent des gens pour oublier leurs désespoirs que de ce Stone en a fait...