Grandes personnes, cessez de croire au petit chaperon rouge ...

Avec Ne vous retournez pas, le spectateur franchit la frontière, dangereuse, entre l'horreur et l'angoisse.
L'horreur, la terreur sont basiques. L'horreur, c'est l'instant où surgit la lame, puis les quelques secondes où le sang gicle à gros bouillons. L'angoisse, et à son apnée l'épouvante, ce sont les minutes où l'on ne sait pas; très au-delà d'un suspense ordinaire, ce temps suspendu où l'on sait que la résolution de l'attente ne pourra pas correspondre à l'attente de celui qui court sur l'écran - l'enfant est morte il y a plusieurs années, ce n'est donc pas l'enfant, et pourtant, la petite silhouette s'enfuit, le petit chaperon est là, juste devant. Va-t-il se retourner ?

L'angoisse est d'autant plus insoutenable qu'elle a été distillée tout au long du film, par petites touches, parfois à traits plus épais, sans discontinuer - miaulements, rats au bord du canal, plongées à partir d'échelles vacillantes, échafaudages plus que vacillants, portes et fenêtres qui se referment, nuit sur des ruelles, sur des passages très étroits, hurlements, cadavres dans la lagune ...
... et ces personnages inquiétants, les deux soeurs, l'une aveugle et voyante, l'autre plus ronde mais guère plus rassurante au point que tous les personnages entraperçus, même les plus falots, de l'hôtelier au commissaire de police, du commissaire à l'évêque finissent par devenir inquiétants ...
... et tous ces flashes, back ou forward, presque subliminaux, qui rappellent ou qui anticipent peut-être, mais qui cachent plus qu'ils ne révèlent ...
... et Venise aussi, absolument pas magnifiée, sinistre, crapoteuse et croupissante, un musée pourrissant à ciel ouvert, uniformément grise ...
... et cette trouvaille de réalisation (qui sera régulièrement reprise, ainsi récemment dans Morse), d'une tache rouge, récurrente, plaquée sur le gris des images; Nicholas Roeg, avant de passer à la réalisation était un directeur de la photographie réputé, spécialiste des couleurs violentes ...

... Et l'angoisse sourd, envahit, s'abat sur Donald Sutherland, ébouriffant de charisme, et sur Julie Christie, ébouriffante de beauté.

Il y a aussi une scène érotique, assez décalée me semble-t-il par rapport au film , très réaliste et qui a d'ailleurs dû être amputée pour échapper à la censure américaine. Elle est parfaitement évoquée dans la très bonne critique de Djee VanCleef -
http://www.senscritique.com/film/Ne_vous_retournez_pas/critique/17591017

Au terme d'un prologue d'une incroyable densité, où tout est dit ou presque (mais on ne peut pas le savoir), avec un montage étourdissant et des transitions assez sidérantes (de la silhouette rouge sur la diapo au ciré de l'enfant en reflet dans l'eau de l'étang, du jeu de balle entre les parents à l'autre ballon tombant dans le lac et à la chute du verre), on sait que le petit chaperon rouge est mort. Que rien ne le fera sortir du ventre du loup. Les contes pour enfants sont souvent horribles (comme les chansons d'ailleurs) et trouvent leur résolution dans le fantastique naïf de la résurrection. Ne vous retournez pas est un conte pour grands enfants, sans naïveté. Le Petit chaperon rouge peut bien revivre, mais avec des dents aiguisées, pas des quenottes. le Petit chaperon rouge désormais s'est transformé en loup - et même en loup-garou.
pphf

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