Première approche, première observation : la pellicule est délavée pour conférer un aspect vintage du plus bel effet. Pas aussi pouilleux que Massacre à la tronçonneuse, le ton des couleurs évoque n'importe-quel film des années 70. Une volonté de faire totalement illusion et par la même d'outrepasser les modes ? Les interviews s'avanceront pour moi. Ce qui est sûr, c'est que Non Educationnal Delinquents possède la rugosité d'un Breathless, la brutalité d'un Orange mécanique, et le malaise social latent d'un Gummo. D'ailleurs, pour rester dans la société du malêtre, ce qui frappe d'emblée, c'est la drôle de ressemblance avec This Is England, qui lui aussi plantait le décor d'une jeunesse défavorisée laissée en friche.
Autre drapeau, autre pays, même moeurs, mêmes coutumes. L'ennui, la camaraderie et l'épreuve du passage à l'adulte sont le lot d'une descente aux Enfers engendrée par des liens amicaux et familiaux là aussi malmenés. L'Etat incarne l'autorité et les valeurs que tout être en (re)devenir défie. Les aboiements de rixes et les insubordinations constituent l'affirmation de soi face à une société qui à force de brimer enjoint à débrider les mœurs de la relève nationale. Des clameurs atrabiles et intestines sont l'expression d'un anarchisme juvénile comme le cinéma a pu en relayer de nombreuses fois pour sensiblement répéter, en s'adaptant à l'histoire du pays, ce que l'on identifie et rapporte à notre mai 68.
En parallèle, la mise en scène installe durablement le spectateur dans le trouble en faisant la part belle à un humour noir frelaté et décadent caché derrière une violence outrancière à peine crédible au premier degré. Funny Games aux encablures, la supercherie se fait en superposant de suaves mélodies reconnaissables entre mille à des cérémonies de bourre-pifs et autres castagnes. Mais la comparaison avec le cinéma d'Hanneke ne s'arrête pas là, car NEDS et Le Ruban Blanc partagent les mêmes aspérités et le même intérêt pour la dénonciation englobante des fautes et crimes commis par l'Homme et aussitôt condamnés par son prochain. Et comme pour masquer ce qui ne saurait être vu, Mullan se joue même des codes cinématographiques pour se permettre de faire gober l'orée d'une fin formatée au bec Benzène. L'audace d'une hallucination transcrite à l'écran subodorait une fin ouverte par le caractère extraordinaire de l'apparition. Que nenni, la surprise ne vous surprendra qu'une fois, mais pas pour tirer les rideaux, ce serait trop facile... En réalité, le réalisateur fait même plus fort sur l'ensemble du film, en réussissant à rendre la tension palpable tout en créant le suspens par un contournement de nos attentes.
C'est essentiellement pour cela (ou par mon manque d'assiduité ?) que la réalisation donne le curieux sentiment de subir des cassures de rythme synonymes de lenteurs. Il faut avouer que la violence et la tension (omniprésente malgré ces baisses de régime) sont parfois insoutenables et contrastent largement avec une introspection suggérée et tour à tour tourmentée ou désaffectée. C'est que cette ascension fulgurante de ce gosse exemplaire qui nous ressemble tous (trop ?), à qui la vie promettait tout, est immédiatement suivie d'une déconfiture digne d'un Taxi Driver, s'il ne fallait en citer qu'un. Par conséquent, NEDS interpelle et fout le tournis autant que le bourdon. Par l'invocation inconditionnelle de l'empathie, le film convertit à coup sûr, et demeure d'une beauté poétique sans nom, à l'instar de Breathless. Plus de doute, la boucle est bien bouclée.