Tout est fracassé. Pantelant. Chancelant. Il n'y a plus rien. Lorsque le film se finit, le vide autour, le plein, le Tout, fracassés, en milles morceaux.
Le cerveau alors, est comme tétanisé, dans l'incapacité d'une quelconque réflexion. Pourtant tout est déjà là, nous avons tout vu, les yeux écarquillés en grand, la beauté ample et pure, éclaboussant de toutes part le visage qui dès lors ne comprend plus rien.


Nelly et Mr. Arnaud est un brouillard de sensation, une oeuvre à l’ampleur considérable, perfection venant se mêler au devant de la scène sociale du monde.
C'est un mélange à la Rohmer, trouvant lieu dans des intérieurs bourgeois, des grandes maisons Parisiennes où l'on boit du bon vin en robe noire et élégante, si l'on est une femme, en costard, si l'on est un homme. Du Rohmer où les personnages n'ont plus cette soif de littérature, cette mouvance perpétuelle des corps, mais prennent leur temps de dire, de vivre, d'être au monde. C'est l'élégance viscérale qui vient se mêler au souffre de la beauté, de la clarté, de la sensualité, délicatesse qui vient se poser dans chaque regards, chaque paroles, chaque gestes.
Nelly et Mr. Arnaud est le trouble d'une rencontre, la tension permanente d'un dialogue entre un homme retraité, riche, entre une femme, jeune et belle : Emmanuelle Béart tapant au clavier sur un ordinateur gros et gris des années 90, ce qu'il sera d'un manuscrit, les mémoires de Michel Sérault en face d'elle.


Et c'est tout.


Mais ce n'est pas tout. C'est Emmanuelle Béart, d'une beauté inégalable, sublime de retenue, de discrétion, de courage, d'être femme parmi ces hommes qui ne cessent de la regarder, de lui tourner autour, imperceptiblement, d'une discrétion tentaculaire, folle, immense, sans que cela n'est l'air de se voir.


Le film de Claude Sautet est une histoire de regards. De ceux qui s'avancent à pas feutrés dans la vie, de ceux limpides, qui virevoltent, qui existent dans l'ombre sans qu'on sans doute, tout en subtilité, en parcimonie, finesse, furtivité qui passe, de l'ordre du minuscule dans la mouvance d'un monde. Le trouble alors, la grâce, l'élégance, la sensualité de l'entièreté d'un film.
La grâce des mains de Emmanuelle Béart qui tapent sur le clavier de l'ordinateur. On dirait une reine, une statuette, une peinture de la Renaissance, une oeuvre d'art. C'est Ingrid Bergman dans Sonate d’automne, tout en émotivité, l'impression qu'elle vit comme sur un fil, près à se briser au moindre coup de vent qui passe. Les deux actrices sont telles des brisures, des feuilles d'arbres prêtent à se détacher du sol qui les aimante au monde. La brisure de l'existence, des émotions qui tordent les cous, les gorges, les regards. Ce n'est rien d'autre que la vie, simple, futile, qui se tient mince dans toute sa pureté, humble, droite et sereine. C'est alors toute cette futilité qui fait l'immense richesse de l'être humain, cette vie d'une sensibilité à fleur de peau. La vérité d'un film d'une sincérité sans pareille, intime bouleversement, implosion qui se fracasse en deux.


Le film de Claude Sautet est la simple fragilité de l'existence, de celle qui se piétine car les êtres y vivent sensiblement, à fleur de peau, tout dans l'émotivité, dans la perceptibilité d'un simple regard, d'un simple geste, d'un simple mot. Paroles qui frissonnent entre les êtres qui apprennent à vivre, qui se cherchent, se regardent, s'envient, se questionnent.


Tout y est juste. tout y est beau, c'est presque de l'ordre du sublime, cette manière de rendre le temps au monde, de rendre l'être humain présent à ce qu'il est, dans la plus simple parole, dans la faculté à prendre le temps de vivre, de ne pas s'égarer, d'avancer sereinement.
Parfois alors c'est du Bergman période années 70, c'est Ingrid Bergman encore, c'est cet homme à la façade dur et implacable, Michel Serault brisé à l'intérieur, même dureté que la mère se tenant face sa fille, Ingrid Bergman dans Sonate d'automne, toutes deux ruisselantes de larmes, explosant dans l'implosion d'un monde déchiré, déchiqueté.
Ici il n'en ai rien. Les personnages ont l'émotivité de ces personnages Bergmaniens, mais ça n'explose pas comme chez le cinéaste Suédois, il n'y a pas ce poids d'une vie détruite, déchue, noire, désespérance.
Dans Nelly et Mr. Arnaud, les émotions restent à l'intérieur, contenues, et pourtant tout déborde, tout transpire de partout, tout explose, les regards, les visages, l'humidité dans les regards, la gorge qui se serre, cette quête d'amour permanente, indéniable.


Beauté écarlate, frémissante, chancelante. Délicatesse qui frémit, jaillit, déborde de tous côtés, jusqu'à inonder nos sens. Les paroles jaillissant limpides de chaque gorge, les mots prononcés délicatement, comme posés sur un coussin de velours, de ceux qui supposément pourraient trouver existence dans cet appartement bourgeois, aux livres anciens qui débordent et puis qu'on déménagent, le vide envahissant l'espace bourgeois, fortuné.
Il suffit d’observer Michel Serault, vieil homme à l'élégance rassemblée dans son humilité : c'est une façade, un mur qui se pli à chaque coups de vent, de regard, essayant continuellement de contenir sa force, sa prestance, son âge, sa souveraineté, son honneur. Mais c'est en miette qu'il est à l'intérieur, un visage dur et tuméfié par l'émotion, contenant tout son flot d'émotivité au fond de son être, pour n'afficher que méprise, colère, contenance. Et c'est lorsque la simple beauté d'une femme émeut le cœur d'un homme, qu'il ne peut retenir sa prestance, qu'il devient littéralement fracassé à l'intérieur. C'est ce que nous montre cette fin, viscérale. Il n'y a alors plus de mots. Le silence parle à la place des paroles, et c'est alors tout le contraire d'un Rohmer. Il n'y a plus que le silence pour décrire la justesse viscérale de l'émotion, celle qui prend les êtres humain tout entière, pour les enfoncer dans le gouffre de l'existence.


C'est l'histoire d'une femme qui existe, et qui en vivant, fracasse les hommes qui passent à ses pieds, défigurant les regards, les gestes, les mots.


C'est une vie qui passe sans crier gare, mais qui en passant furtivement, à créée l'ébranlement dans le cœur du spectateur.


Le dernier film de Claude Sautet est le premier du réalisateur qui nous arrive tout entier par nos sens. Alors il y a l’immense nécessité de découvrir le reste, et le sentiment alors d'une découverte rare, décisive. Pépite d'or dans le fracas d'un monde. La rareté de joyaux qui parviennent à nos yeux sans qu'on s'y attende. Alors il faut continuer la quête de la mine d'or, encore et toujours.

Lunette
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le 4 déc. 2015

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