Never Rarely Sometimes Always est une marche régie par la quête balbutiante et incertaine d’une féminité, d’un droit à la féminité et à la vie de femme qui passe, de façon apparemment paradoxale, par la mise à mort de l’embryon. Il faut rompre avec l’incarnation de l’abus et de l’oppression qui grossit et se développe jour après jour, qui résiste aux comprimés et aux coups ; mais cette rupture s’opère par étapes, Autumn louvoyant sans cesse entre deux rives qui l’attirent et la rebutent. Son prénom, d’ailleurs, porte en lui l’état transitionnel qui caractérise l’existence du personnage : une saison prise en étau entre la chaleur et le froid, la vie et la mort.
Tout, dans cet environnement urbain étranger, apparaît comme un obstacle opposé à l’émancipation des deux femmes, de la manifestation religieuse organisée devant le centre médical à ce jeune homme rencontré dans le bus qui troque le billet de retour – ainsi que ses frites et son ketchup – contre caresses et baisers. Le corps est objet de marchandage : il passe sous des détecteurs, il titube et se casse sous le poids de la valise porté dans les escaliers du métro, il est sondé de l’intérieur à plusieurs reprises, on dévoile sa libido aussitôt exhibée aussitôt schématisée, enfermée dans l’une des quatre cases qui donnent son nom au long métrage. La marche vers la liberté est ainsi donnée à voir et à vivre par le prisme du corps, un corps sans artifice, brut, privé de sommeil, de soleil et de joie, contraint de se laver « comme les prostituées » – soit aisselles et pubis – dans les toilettes publiques. Les lieux traversés par Autumn et Skylar participent de cette dégradation de la femme : un bowling, un fast-food, la salle d’attente d’une gare ou d’une clinique, un bus ; des lieux de passage marqués par leur impersonnalité et l’engloutissement de l’individu dans une masse anonyme.
Never Rarely Sometimes Always prend l’aspect d’une chaîne de solidarités féminines superbe, faite de mains tenues, d’une odyssée infernale qui voit sa fin repoussée encore et encore jusqu’à l’éreintement ; elle diffuse un féminisme d’autant plus intelligent qu’il n’est jamais plaqué : son expression découle naturellement des situations mises en scène, s’insèrent au sein du quotidien dans toute leur banalité révoltante et écœurante. Fort de deux actrices lumineuses, Sidney Flanigan et Talia Ryder, le film d’Eliza Hittman est une œuvre importante pour la représentation des femmes au cinéma, une œuvre qui prend aux tripes et offre le témoignage bouleversant d’une maternité subie et d’une libération gagnée après moult épreuves.