En seulement 90 minutes et des moyens dérisoires New Rose Hotel s'affirme d'une part comme le plus beau film de Abel Ferrara et d'autre part comme l'un des grands chefs d'oeuvre des années 90. Réflexion passionnante sur l'image et ses vertus fétichistes New Rose Hotel reste un morceau de cinéma d'une totale liberté artistique : underground, sensuel et parfaitement envoûtant cet objet fascinant témoigne d'un regard unique et d'une atmosphère peu commune.
Entouré d'un Christopher Walken cabotin mais génial, d'un Willem Dafoe impeccable et d'une Asia Argento particulièrement attractive Abel Ferrara conjugue les ficelles du film d'espionnage aux archétypes du film noir ; pour ce faire il décuple les degrés de lecture de ses plans par l'entremise d'un montage aux correspondances tout à fait riches et stimulantes. Entre la figure du vétéran charismatique Fox ( Christopher Walken ) et celle de son acolyte X ( Willem Dafoe, dont le personnage va peu à peu prendre la consistance du héros loser et sentimental ) surviendra donc Sandii ( Asia Argento ), femme fatale formant le pivot narratif de New Rose Hotel.
A mesure que les images se succèdent la complexité du film de Ferrara s'impose tel un songe obsédant, rémanent. L'acte d'exposition est en soi déjà un chef d'oeuvre : après un générique groovy et graphiquement inoubliable Ferrara nous plonge dans un premier quart d'heure essentiellement musical : couleurs chaudes, rabattues, ambiance feutrée... Nous sommes dans le pur Cinéma, celui principalement composé d'images et de sons, de matières et d'impressions. Par la suite le cinéaste présente l'objectif de son scénario dans une scène regroupant ses trois personnages : sur fond de guerre bactériologique il développe un canevas essentiellement fondé sur l'entourloupe, au coeur duquel Sandii doit manipuler un certain Hiroshi Imuri, milliardaire convoité par Fox et son comparse X.
S'ensuit un deuxième acte davantage séquencé, faisant la part belle aux excentricités du personnage joué par Walken. Rarement extérieurs les décors sont pour la plupart des chambres, des restaurants ou des bureaux, forcément là pour placer New Rose Hotel sous le signe du film intimiste. La relation amoureuse rapprochant X de Sandii vient s'ajouter à l'intrigue initiale, insufflant au métrage une profondeur incontestable. Au gré d'une imagerie hybride, quasiment bâtarde Ferrara construit un regard de Cinéma atypique formé de plans et de vues interposées, un objet captivant dont le corps étranger serait le fameux et pratiquement invisible Hiroshi Imuri.
Vient finalement la dernière demi-heure de New Rose Hotel, véritable leçon de narration et de montage : Sandii disparue et Fox défenestré X va revivre de son point de vue le film qui s'est déroulé jusqu'alors. Abel Ferrara réitère certaines vues déjà remarquées auparavant, développant un troisième acte qui tient de la pure réminiscence. Mélancolique et meurtri X rejoue donc le film à sa triste guise... Les images deviennent in fine des projections mentales et n'ont plus réellement leur épaisseur narrative préalable. New Rose Hotel se situe alors autre part que dans les eaux troubles du polar noir : plutôt du côté d'une histoire d'amour unique et d'une beauté désespérante, portant à son paroxysme les possibilités du Cinéma.
Un chef d'oeuvre donc, injustement mésestimé et partiellement méconnu. New Rose Hotel reste un incontournable du génial Abel Ferrara, filmeur chevronné mais proche de l'état de grâce avec ce faux thriller véritablement affectif et affecté. L'un de mes films préférés de tous les temps.