Un film chimère, dialogue du documentaire et de la fiction.

Fabianny Deschamps construit son film en boucle, comme un long flash-back, s'ouvrant énigmatiquement sur la figure à demi voilée de l'actrice européenne à laquelle la caméra va s'attacher, pour suivre son avancée de plus en plus profonde dans la Chine saturée à la fois d'humains et de croyances, de rituels, de magie. La fin du film reviendra à cette image initiale, après une longue déambulation hypnotique qui nous aura fait assister à l'enfoncement-avalement de l'héroïne dans une Chine qui se sera refermée sur elle à la manière de sables mouvants.


Car ici réside la grande force du film : sur des images dérobées à la grande ville chinoise de Guangdong, images se rattachant donc au genre du documentaire, la réalisatrice relie une fiction suivant les pas d'une narratrice chinoise qui nous confie son histoire en voix off. Et la magie de ce grand écart entre le témoignage visuel qui nous est proposé et le récit imaginaire dans lequel nous entraîne la voix sous-titrée opère. Sur des images de la vie quotidienne chinoise, on accompagne donc le fantôme vocal dans le récit de sa tentative amoureuse de fuite vers Hong Kong, puis de sa disparition et de sa quête d'un corps de substitution qui soit incinéré à sa place, permettant au sien propre de rejoindre la terre et une sépulture apaisée. La proie convoitée pour tenir ce rôle sera la femme occidentale, justement venue en Chine pour tenter d'y implanter un nouveau procédé de dissolution des cadavres, l'"aquamation". Retournement, contre l'Occident moderniste et profanateur, de sa propre agression, et cela grâce au secours de tous les fantômes chinois venus défendre les traditions qui les font exister et les croyances qui les font survivre à la mort.


Superbe confrontation, orchestrée par Fabianny Deschamps, entre la rationalité occidentale se manifestant de manière glaçante dans une sorte de prologue publicitaire au film, et le grand souffle magique et croyant qui traverse un peuple en un héritage ancestral. Superbe chant d'amour, aussi, à un pays, par lequel on sent que la réalisatrice s'est laissé happer bien avant d'y faire disparaître son héroïne.

AnneSchneider
9
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur.

Créée

le 5 déc. 2015

Critique lue 273 fois

2 j'aime

Anne Schneider

Écrit par

Critique lue 273 fois

2

D'autres avis sur New Territories

New Territories
AnneSchneider
9

Un film chimère, dialogue du documentaire et de la fiction.

Fabianny Deschamps construit son film en boucle, comme un long flash-back, s'ouvrant énigmatiquement sur la figure à demi voilée de l'actrice européenne à laquelle la caméra va s'attacher, pour...

le 5 déc. 2015

2 j'aime

New Territories
NomieGdn
7

Encourageant

Réalisation assez spectaculaire, jeu avec le spectateur, récit poétique et cohérent... Je me suis laissée happée, hypnotisée dans le monde de Deschamps sans problème. Ce film ne m'a clairement pas...

le 9 janv. 2017

Du même critique

Petit Paysan
AnneSchneider
10

Un homme, ses bêtes et le mal

Le rêve inaugural dit tout, présentant le dormeur, Pierre (Swan Arlaud), s'éveillant dans le même espace, mi-étable, mi-chambre, que ses vaches, puis peinant à se frayer un passage entre leurs flancs...

le 17 août 2017

80 j'aime

33

Les Éblouis
AnneSchneider
8

La jeune fille et la secte

Sarah Suco est folle ! C’est du moins ce que l’on pourrait croire lorsque l’on voit la jeune femme débouler dans la salle, à la fin de la projection de son premier long-métrage, les lumières encore...

le 14 nov. 2019

74 j'aime

21

Ceux qui travaillent
AnneSchneider
8

Le travail, « aliénation » ou accomplissement ?

Marx a du moins gagné sur un point : toutes les foules, qu’elles se considèrent ou non comme marxistes, s’entendent à regarder le travail comme une « aliénation ». Les nazis ont achevé de favoriser...

le 26 août 2019

71 j'aime

3