Fabianny Deschamps construit son film en boucle, comme un long flash-back, s'ouvrant énigmatiquement sur la figure à demi voilée de l'actrice européenne à laquelle la caméra va s'attacher, pour suivre son avancée de plus en plus profonde dans la Chine saturée à la fois d'humains et de croyances, de rituels, de magie. La fin du film reviendra à cette image initiale, après une longue déambulation hypnotique qui nous aura fait assister à l'enfoncement-avalement de l'héroïne dans une Chine qui se sera refermée sur elle à la manière de sables mouvants.
Car ici réside la grande force du film : sur des images dérobées à la grande ville chinoise de Guangdong, images se rattachant donc au genre du documentaire, la réalisatrice relie une fiction suivant les pas d'une narratrice chinoise qui nous confie son histoire en voix off. Et la magie de ce grand écart entre le témoignage visuel qui nous est proposé et le récit imaginaire dans lequel nous entraîne la voix sous-titrée opère. Sur des images de la vie quotidienne chinoise, on accompagne donc le fantôme vocal dans le récit de sa tentative amoureuse de fuite vers Hong Kong, puis de sa disparition et de sa quête d'un corps de substitution qui soit incinéré à sa place, permettant au sien propre de rejoindre la terre et une sépulture apaisée. La proie convoitée pour tenir ce rôle sera la femme occidentale, justement venue en Chine pour tenter d'y implanter un nouveau procédé de dissolution des cadavres, l'"aquamation". Retournement, contre l'Occident moderniste et profanateur, de sa propre agression, et cela grâce au secours de tous les fantômes chinois venus défendre les traditions qui les font exister et les croyances qui les font survivre à la mort.
Superbe confrontation, orchestrée par Fabianny Deschamps, entre la rationalité occidentale se manifestant de manière glaçante dans une sorte de prologue publicitaire au film, et le grand souffle magique et croyant qui traverse un peuple en un héritage ancestral. Superbe chant d'amour, aussi, à un pays, par lequel on sent que la réalisatrice s'est laissé happer bien avant d'y faire disparaître son héroïne.