Night in Paradise n’est pas un film qui se complait dans la nuance. Radical dans sa prise de position, balayant toute trace de subtilité, le film tire son épingle du jeu en jonglant entre le drame et le film de gangster.
Entre des scènes de bagarres et de tueries à la violence sèche spectaculaire, sanglante et sans compromis, notamment dans son introduction et dans son climax final, Night in Paradise va parfois littéralement changer d’atmosphère pour laisser libre cours à sa contemplation dramatique et à la mise en scène de moments du quotidien. Après avoir vengé la mort de sa soeur et de sa nièce, un gangster (Tae-Gu) se met en retrait durant une semaine sur l’ile de Jeju, et y rencontre une femme (Jae-Yeon) à qui il ne reste que quelques semaines à vivre. Mais ce qu’il ne sait pas, c’est que sa tête va bientôt être mise à prix par des personnes qu’il ne soupçonnait pas.
De prime abord, Night in Paradise comprend tous les codes du film de gangster, avec cet univers bien particulier, visible par exemple dans New World (Park Hoon-Jung) ou A Bittersweet Life (Kim Jee-Woon) : des hommes en costumes cravates, décor sombre, un mutisme sourd, de grands banquets aux moeurs solennelles, des morts, un code d’honneur bafoué, de la manipulation et une violence vengeresse remarquée. La recette n’est pas révolutionnaire, mais a le mérite d’exister, et d’être filmée avec soin. La première secousse sanguinolente qui se déroule dans un sauna est graphiquement et esthétiquement extrêmement frappante, et démontre toutes les qualités graphiques du film.
Mais entre cette introduction et le climax final, il y a donc un film qui continue sa route et qui dévie un peu de son origine première. Night in Paradise délaisse un tant soit peu l’univers des mafieux, même si ce dernier reste à l’écran, et trace sa route dans les affres du drame, voire du road movie mélo. Se cachant dans une maison sur l’ile de Jeju, Tae-Gu fait la connaissance de Jae-Yeon et de son oncle. Jeune et mystérieuse, taciturne, habile avec une arme à feu, elle dissimule en elle une violence qui ne va pas dépareiller avec le contexte environnant. Certes, pendant ce milieu du film où le tempo baisse, où les deux personnages apprennent à cohabiter, à faire face dans un moment difficile, à rester en vie malgré l’envie de fuite, Night in Paradise perd en intensité et en véracité, parfois provoquée par l’omniprésence de violons mielleux et superficiels.
Alors certes, Park Hoon-Jung ne détient pas le même talent pour créer ce genre de moments suspendus comme peut les écrire Lee Chang-Dong (Burning) ou faire naitre une mélancolie dévastatrice comme peut la faire éclore Takeshi Kitano (Hana-Bi), mais le cinéaste arrive pourtant à sublimer les décors extérieurs pour donner un vrai souffle à cette « expédition » aux allures de western et les deux acteurs donnent un minimum de poésie à cette rencontre fortuite, qui ressemble plus à une marche funèbre à deux, plutôt qu’à un coup de foudre amoureux. Et en ce sens, Jeon Yeo-Bin est le réel atout de Night in Paradise : avec son regard dans le vague, son air désabusé, elle amène un aspect mortifère et viscéral à une oeuvre qui n’en demandait pas tant, à l’image de la tuerie finale (puis du plan final), où son « reflet » suicidaire prend le pas dans une violence sans pareille. Night in Paradise est un film hybride qui tente, explore, à défaut de tout réussir, et contient son lot de moments de grâce épidermique pour faire accrocher au projet.
Article original sur LeMagducine