Nightfall
Nightfall

Documentaire de James Benning (2012)

Il est des films susceptibles d'être vus de mille façons différentes : Nightfall de James Benning fait partie de cette catégorie. En un seul et unique plan fixe étiré sur une centaine de minutes le cinéaste nous offre un film capable de mourir et renaître à chaque instant, comme "en train de se faire" seconde après seconde.


Nightfall n'est rien de plus que le strict récit de son titre : une sidération crépusculaire échappant totalement au temps qui passe. Plus que d'un simple film contemplatif il s'agit d'une expérience visuelle construite sur un mode soustractif ; partant d'une vision aux gammes chromatiques clairement définies Nightfall dévie imperceptiblement vers une obscurité de plus en plus envahissante, modifiant lentement mais sûrement l'enchevêtrement complexe d'une forêt de conifères en un magma d'ombres et de nuances brouillées... jusqu'au noir intégral !


Ainsi Nightfall passe d'une représentation figurative à une peinture informelle, convoquant aussi bien la méditation en pleine conscience de Jon Kabat-Zinn que les travaux de Pierre Soulages. On promène son regard au coeur d'un plan réservant d'innombrables punctums, chaque spectateur pouvant y trouver la singularité qu'il désire. Le regard de Benning, plus radical encore que dans l'incontournable Ten Skies, reprend la thèse de son méconnu Two Cabins, comme si la caméra était - au sens étymologique du terme - une chambre ouverte sur le monde de Thoreau et de Kaczynski.


Force 0 sur l'échelle de Beaufort : absence de mouvances discernables, éternité court-circuitée par les sons ambiants d'une faune aviaire indiquant progressivement le passage du jour à la nuit dans ses variations. Il y a en même temps énormément à voir dans Nightfall ( segmentation de l'image en de nombreuses lignes de force caractérisées par des troncs d'arbre, ligne d'horizon obstruée par un fatras de branches et de frondaisons, profondeur de champ écrasée transformant par moments le plan en un trompe-l'oeil déconcertant ) et de la même façon pratiquement rien à regarder. Une nature morte proche des mirages labyrinthiques des poèmes de Borges nous rappelant que, le temps d'apprendre à voir il est, hélas, déjà trop tard.

stebbins
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le 10 déc. 2017

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