Le masqué, il attend chaque nouvel opus de Guillermo Del Toro avec ardeur et impatience. Souvenez-vous qu'en 2017, il couinait comme une jouvencelle de ne pas pouvoir aller dans son cinéma fétiche day one voir La Forme de l'Eau et qu'il a dû ronger son frein une quinzaine de jours pour enfin succomber au charme de l'amour contre-nature.
En 2022, il a dû faire quelques kilomètres pour pouvoir aller voir Nightmare Alley. En se disant que l'un de ses réalisateurs fétiche abordait une période de croisée des chemins. Depuis La Forme de l'Eau, encore lui.
Pas depuis les récompenses, qui n'ont fait qu'accentuer le phénomène, mais depuis sa réception critique, où plus de pisse-aigres que d'habitude ont fait entendre leur voix.
Et pour tout vous dire, Nightmare Alley ne va pas arranger les choses.
Car si vous venez dans la salle pour voir du monstre et de l'univers poético-onirique, vous risquez d'être gravement déçu. Oh, il reste bien ça et là quelques bocaux ambrés abritant des foetus, accessoire chéri entre tous du mexicain. Mais hormis cela, nada.
Sauf ce nouveau-né, lui aussi en bocal, dont le front est ouvert d'un troisième oeil, que Del Toro érige en totem signifiant de son oeuvre, se déroulant d'abord dans le milieu du cirque, tout aussi fraternel que sans pitié, voire glauque.
Pas de monstre, donc, mais un Bradley Cooper d'abord impénétrable, ravissant à l'itinérance Rooney-la-virginale que l'on a envie d'épouser immédiatement, après avoir appris le boniment et la télépathie qui ravit et impressionne les plus influençables.
C'est dans cet univers que réside l'art le plus immédiatement identifiable du réalisateur, qui ne peut s'empêcher de se montrer d'une profonde gourmandise, habillant son cirque censé être de troisième zone des plus belles couleurs et des décors les plus fastes.
Del Toro semble abandonner son art dans la grande ville, alors que son charmant escroc connaît le succès et fraie avec les mêmes gogos et les mêmes crédibles mieux habillés. Ce serait cependant oublier que ses grands salons baignés de lumière se montrent aussi magnifiques que légèrement irréels, ou encore que le Mexicain transforme un bureau de psychanalyse en orgie visuelle. Comme si Bradley vivait enfin son rêve... Ou succombait à la force de ses propres boniments qui, comme dans toute bonne fable, précipitent sa chute.
Car Bradley, au contraire du foetus totem présenté au cirque, échoue à ouvrir son troisième oeil, ou tout simplement à avoir la jugeote nécessaire, pour ne pas voir arriver les augures ou saisir la portée des conseils que chaque femme archétypale qu'il rencontre lui prodiguera. Trop aveugle, trop attiré par la lumière tel un papillon de nuit, Bradley se perd comme s'il était fasciné par l'abysse qu'il contemple, teinté de fulgurances de violence en dernière ligne droite achevant de noircir le portrait du personnage principal du film.
Avec Nightmare Alley, Stan, alias Bradley, rejoint la galerie de méchants que Del Toro dessine depuis longtemps, faisant écho à Jacinto, ce prince sans royaume, à Vidal ou encore à Strickland en 2017. Soit finalement, l'une des autres obsessions de Guillermo Del Toro qui nous donne en 2022, une nouvelle incarnation au mal sans concession, rattachant ainsi le dernier-né à sa fratrie intime, sans pour autant l'inscrire en pendant de l'innocence brisée de l'enfance.
De quoi donc être déçu ou, au contraire, confirmé dans ses certitudes et ses adulations.
Vous vous doutez bien que le masqué, au vu de la note, n'a pas mis longtemps à choisir son camp.
Behind_the_Mask, sous le plus grand chapiteau du monde.