Dans les rues de Taipei, Nina Wu – jeune provinciale venue dans la capitale taïwanaise pour réaliser son rêve de devenir actrice – fend la foule pour rejoindre son domicile. Bien que ces premiers plans l’inscrivent comme protagoniste de l’œuvre, ils témoignent d’une première distanciation tant la caméra de Midi Z reproduit les mouvements des caméras de surveillance. Elle ne semble déjà exister que par le regard d’autrui à savoir celui d’un spectateur/voyeur dont la position rappelle celle des utilisateurs anonymes suivant les live-streams qui lui permette de survivre entre quelques petits rôles sans envergure. Si Nina Wu s’ouvre sur des séquences quotidiennes – rentrer chez soi, se préparer à manger –, c’est pour construire directement une dichotomie entre l’individu (banal) et l’actrice (objet). La comédienne Nina Wu ne peut prendre vie qu’à travers les projections d’un tiers, qu’il s’agisse des rêves d’une carrière hollywoodienne de sa propre famille ou des fantasmes de l’industrie cinématographique taïwanaise.
Dans une ère post-#MeToo, Nina Wu offre une réflexion sur la normalisation d’une misogynie sociétale dont le paroxysme réside dans la situation des actrices. En unifiant à la fois le cinéma et la pornographie (par le biais d’une scène de sexe explicite dans le scénario proposé à Nina), l’œuvre saisit l’enjeu principal des rouages machistes : posséder et dénuder le corps des femmes de manière gratuite – ce à quoi Midi Z à l’intelligence de répondre uniquement par la suggestion en ne montrant que la préparation, non-dénudée, des positions sexuelles juste avant de tourner cette fameuse séquence. Nina Wu témoigne de la violence encourue par les actrices à chaque étape de production d’un film : les dérives sexuelles des castings, la possessivité perverse des cinéastes ou encore les diktats esthétiques imposés par les agents (en vue des interviews ou des tapis rouges). L’identité réelle du personnage de Nina se dissout alors progressivement au contact des multiples images d’elle-même qui lui sont imposées par les différents personnages gravitant autour d’elle.
Nina Wu est pourtant doublement une œuvre à la première personne. D’abord, le scénario est signé par l’interprète même du film, Wu Ke-xi, qui s’inspire d’une expérience réelle. Ensuite, l’œuvre n’est perçue qu’à travers la psyché de son protagoniste. À la manière de Perfect Blue de Satoshi Kon (Japon, 1997), Nina Wu trace son chemin uniquement par les méandres psychique d’un personnage paranoïaque perdant graduellement toutes notions de réalité. Suite de paysages mentaux plus que récit linéaire, le long-métrage fait corps avec la folie de son personnage et se teinte d’un rouge vénéneux (de cette robe utilisée pour le casting au vin scellant son funeste destin). Néanmoins, aussi louable que soit le sujet du film, cette propension à la folie désamorce au fur et à mesure la ferveur politique de Midi Z et Wu Ke-xi. Les enjeux sociétaux sont noyés dans les différentes strates d’un récit oscillant, parfois maladroitement, entre passé et présent.
En personnifiant notamment la culpabilité de Nina sous les traits de la candidate n°3 de la séquence de casting, Nina Wu dépeint la rivalité féminine comme une dangereuse, pour qui regarde le film, tension érotique lesbienne malvenue. Cet exemple illustre le problème majeur du film : proposer un trop-plein de pistes ou d’embryons narratifs (cf. les soucis financiers de la famille, la santé fragile de sa mère ou encore une histoire d’amour inutile) générant au mieux de la confusion au pire du grotesque. Enfin, en construisant chaque séquence comme une nouvelle dégradation subie par Nina, l’œuvre devient un exercice de gratuité et de violence utilisant, malhabilement, la figure du viol comme une dernière humiliation ensevelie sous d’innombrables scènes masochistes. Dans ce flot constant de violence, le discours politique disparaît sous les atours du sensationnel et le spectateur se lasse, sans même s’en rendre compte, d’assister à cette torture devenue spectacle.