Je n'avais jamais entendu parler de cette histoire, pas vu la B. A., et le titre du film ne me révélait rien de son contenu. Je savais seulement que Caleb Landry Jones en était l'acteur principal et que le rôle lui avait valu le prix d'interprétation masculine à Cannes en 2021. C'est donc dans les meilleures conditions possibles que j'ai vu Nitram. Sans aucun préjugé, sans aucun mécanisme de défense qu'aurait forcément mis en place mon intellect, si j'avais eu quelques infos préalables à la projection.

Et donc le film m'a intrigué, touché, presqu'apitoyé, en tout cas scotché à mon siège et mené par le bout du nez pendant une bonne heure un quart, avant que je ne comprenne vers quoi on allait. Au départ, le personnage de Nitram ne semble rien de plus qu'un cocktail un peu fort entre bizarrerie, originalité et révolte ; qu'il soit personnifié par Caleb Landry Jones, acteur qui a pour le moins beaucoup de présence, le pare évidemment d'un certain pep. On le découvre avec des parents charmants, plutôt évolués et aux petits soins pour lui parce qu'ils savent leur fiston lent d'esprit, voire un peu demeuré (un peu dérangé) et réagissant violemment à la frustration. Et puis quand Nitram (c'est le surnom, anagramme de Martin, que les autres élèves lui avait donné quand il allait à l'école et qui lui est resté depuis) rencontre Helen, elle aussi une originale et, par chance, riche héritière, et que ça se passe bien entre eux, on se réjouit qu'ils se soient trouvés. Elle aime sa jeunesse, son look de movie star (forcément, c'en est une !) et lui a enfin quelqu'un qui s'intéresse à lui, qui lui donne un peu de tendresse, lui ouvre des horizons, lui permet de grandir. Les parents de Nitram n'en croient pas leurs yeux, et sa mère se sent obligée de prévenir Helen que son fils, dès l'âge de 5, 6 ans, se comportait parfois de façon étrange, prenant plaisir à la voir souffrir... Mais qui ne s'est pas comporté de façon "hors norme" à un moment ou à un autre ?

On commence quand même à s'inquiéter du comportement de Nitram quand, alors que Helen conduit avec lui à son côté, il s'amuse à donner de brusques coups de volant qui font zigzaguer la voiture sur la route ; on se dit alors qu'il est plus que hors norme : carrément dangereux, même si c'est pour plaisanter.

Et puis, les choses se gâtent brutalement... Et prennent alors un chemin qui, d'insuffisances en frustrations et de solitude en colère, mène de façon prévisible à la catastrophe finale.

Laquelle est évoquée très sobrement et laisse bouche bée quand on ne la connaît pas avant que le film ne commence.

Naturellement, le personnage de Nitram interroge. Comment le traiter ? Qu'en faire ? Son père l'aime beaucoup, mais il ne peut pas être toujours derrière lui, et pourtant il envisage quand même qu'un jour ou l'autre, son fils se mariera (physiquement, il est plutôt mignon : blond-roux aux yeux bleus, peau laiteuse) et aura des enfants à son tour. Sa mère, elle, est exaspérée par les insuffisances, bizarreries, excentricités, "lubies" de son fils, mais elle l'a mis au monde, donc elle l'aime malgré tout, elle s'inquiète pour lui et redoute d'éventuelles "incartades" (dont elle le sait capable).

Ah ! J'ai oublié de vous dire que tout ça se passe en Tasmanie, une île au Sud-Est de l'Australie grande comme sept ou huit fois la Corse, très boisée (pour ce qu'on en voit dans le film) et bordée par l'océan Pacifique. Nitram se rend souvent à la plage, admire et envie les surfeurs, il a d'ailleurs en permanence une planche de surf sur le toit de sa voiture, sans savoir vraiment s'en servir. Pour dire que l'environnement dans lequel vit Nitram est très agréable, le pays est un petit paradis, les gens paraissent aisés, civilisés, on se croirait presque sur la côte californienne. Le problème, c'est que lui ne se sent pas en phase avec ce bonheur-là, avec les autres qui le rejettent, parce qu'ils le devinent différent. Il se sent autre, seul, déprécié. La colère monte en lui.

Le film se concentre sur 4 personnages principaux (Nitram, sa mère, son père et son amie Helen) et une demi-douzaine de personnages secondaires, dont Jamie, un surfeur à qui Nitram fait des avances amicales... sans succès. Les 4 acteurs principaux sont irréprochables. Outre Caleb Landry Jones qui porte le film sur ses épaules en personnifiant Nitram (dans toute la complexité du personnage) magnifiquement, la mère (Judy Davis), le père (Anthony LaPaglia) et l'amie Helen (Essie Davis) sont vraiment très bien, chacun à leur manière. Excellente composition de ces trois personnages qui se marie parfaitement avec celle faite de Nitram par Caleb Landry Jones. Je n'ai pas l'impression qu'en France on ait des acteurs dotés de cette finesse de jeu.

J'ai trouvé le scénario habilement construit, la réalisation de Justin Kurzel (dont pourtant je n'avais pas du tout aimé un précédent opus) et le montage du film (aspect auquel je suis toujours très attentif) : bons, comme l'est la bande-son, qui mélange musique plutôt légère d'opéras inconnus avec, aux moments adéquats, des sons menaçants et répétitifs.

Pour moi, c'est donc un très bon film. Par contre, les panneaux qui le clôturent en disent trop ; une énonciation laconique des chiffres de la catastrophe eût sans doute mieux convenu.

Fleming
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le 26 mai 2022

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