Chili, 1988. Sous la pression internationale le général Pinochet lance un référendum sur la continuité de son régime dictatorial. Pour la première fois depuis 15 ans, l’opposition aura la pleine liberté de parole 15 minutes par jour. Pour mener à bien leur campagne les partisans du NON font appel au jeune publicitaire René Saverda (Gael Garcia Bernal). A rebours de la stratégie établie qui consistait à dénoncer solennellement les crimes du régime, René préconise une campagne joyeuse et festive dans la droite ligne de l’esprit de ses spots habituels. L’humour, la légèreté assumée, l’exaltation de la jeunesse et l’espérance en des lendemains qui chantent auront à terme raison du discours vieilli et paternaliste du régime.
Il peut paraître assez douteux de présenter un évènement aussi fatidique par le biais du regard d’un publicitaire clairement apparenté au milieu petit bourgeois. Beaucoup d’ailleurs au Chili n’ont pas hésité à reprocher à Larrain d’avoir minimisé le rôle de ceux qui se sont mobilisé sur des années et souvent au péril de leurs vies. De toute évidence, c’est moins la justesse du combat pour la démocratie qui intéresse le réalisateur que la façon dont ce combat a été mené et les implications pour le futur.
Le personnage de René (fictif quoi qu’inspiré de personnes réelles) peut se décortiquer selon de multiples déclinaisons. Il peut être vu comme une figure du héro classique, à savoir un homme sans histoire, découvrant malgré lui la dure réalité de son monde (la scène du commissariat où son ex-femme est tabassée sous ses yeux), mais dont l’astuce lui permettra contre vents et marées d’abattre la tyrannie avant de s’en aller sans demander son reste tel le cowboy solitaire. Est-il l’intervention divine qu’espère au début du film cette militante dépitée ? L’ange pourtant pactise avec le démon Lucho Guzman (Alfredo Castro), son patron cynique pilotant la campagne du OUI sous l’autorité de politiciens imbus d’eux-mêmes venus à croire à leur propre propagande. René suscite également la méfiance voire l’indignation chez les démocrates alors qu’il rejette les vidéos de témoignages de proches de victimes du régime ne voulant pas de spots trop larmoyants. Pour lui et son équipe, la démocratie ne semble être qu’un produit comme un autre qu’il présente à ses clients de la même façon que d’ordinaire. La victoire de la démocratie se fera au prix du sacrifice du devoir de Mémoire et l’incroyable lenteur de la justice à condamner les responsables des crimes du régime sera la conséquence directe de cet oubli.
Ainsi Larrain présente à travers René, la société chilienne de l’époque dans toutes ses ambiguïtés et contradictions, ballottée d’un bord à l’autre, détestant le régime mais peu désireux de renoncer au modèle capitaliste que celui-ci a engendré.
Dans un véritable souci d’immersion, No est tournée comme un documentaire, caméra à l’épaule, avec utilisation des clips véridiques et même la venue de d’authentiques responsables de la campagne jouant leurs propres rôles 25 ans plus tard. Comme par volonté de coller à l’imaginaire des images d’archives qui composent une bonne partie du film, ce dernier est tourné avec une caméra Ikegami des années 80 (alors très prisée dans le monde de la pub) donnant une image carrée aux couleurs saturées et dont les couleurs décalés semblent renvoyer à l’arc-en-ciel symbole du camp du NON. En plus de gommer la différence d’époque entre le tournage du film et celui des archives, ce choix peux également exprimer la contamination de la publicité à l’ensemble de la société. C’est le réel lui-même qui est devenue une immense pub.
Au final, No démontre que le régime de Pinochet aura été vaincu par ses propres armes, celles de la modernité et du marketing qui sortiront in fine grands vainqueurs du référendum.
Film à la fois joyeux et amer, présente le referendum comme un duel épique où la ruse et la débrouillardise répond aux coups bas et aux abus de pouvoir, No sait prendre du recul sur ce qu’il montre évitant toujours de faire dans le bon sentiment. Même si Larrain n’oublie pas de rappeler la brutalité du régime agonisant (atmosphère toujours plus oppressante, exactions policières sous le regard de l’enfant qui pourrait être le réalisateur lui-même à l’époque) sa conclusion contraste avec l’exultation de la victoire du NON. Pinochet est vaincu mais quel avenir s’ouvre pour le Chili ? Sitôt la campagne achevée René se remet à travailler avec son patron et ennemi qui n’a pas tardé à virer sa cuti et continue à vendre les mêmes produits qu’avant. Les régimes passent, le capitalisme persiste.