No Land's Song est représentatif d'un certain état du documentaire au cinéma aujourd'hui, et force est de constater que ce n'est pas agréable à remarquer. Je tiens à préciser d'emblée que le film n'est pas mauvais, mais il s'agit plus d'un beau reportage que d'un documentaire magnifique, et en ce sens, il est symptomatique d'un vrai problème. Le documentaire est un genre qui plaît plus par son sujet que par sa mise en scène et sur ce point, il est complètement dévalorisé, ayant le droit de se défaire de toute substance cinématographique. Pour faire une comparaison avec la fiction, je me rappelle avoir lu çà et là à propos du récemment oscarisé Spotlight, qu'il avait, malgré son excellente écriture, une petite faiblesse au niveau de la mise en scène (ce qui est discutable mais là n'est pas le débat). Lorsqu'il s'agit de fiction c'est un défaut, mais à propos du documentaire on a tendance à oublier ce détail. N'étant pas une spécialiste du documentaire (le genre étant – même si ce n'est pas une excuse – assez mal distribué) je ne sais pas si je peux me permettre un espèce de bilan critique. Néanmoins je me rappelle avoir été scandalisé en constatant que Demain avait été récompensé généreusement aux Césars alors que, malgré un sujet important, il semblait (ok, je ne l'ai pas vraiment vu, mais bande annonce plus échos...) qu'il ne s'agissait « que » d'un joli reportage bien travaillé. Ce n'est pas un blâme, un reportage peut émouvoir, peut être intéressant, pourtant ce n'est pas du cinéma, du moins à mon avis.
Le genre du documentaire semble ainsi s'effondrer puisqu'on aime vendre des œuvres très politiques et actuelles en dédaignant les autres (Jodorowsky's Dune qui a mis deux ans avant d'être distribué en France ou Kurt Cobain : Montage of Heck qui n'a eu le droit qu'à quelques séances ponctuelles dans les cinémas, alors que l'un comme l'autre tentaient de jolies choses visuelles notamment grâce à l'animation). Ayant vu No Land's Song en cinexpérience, je me rappelle avoir été frappé par une jeune fille qui disait qu'elle ne serait sûrement pas allé voir le film autrement, par « paresse intellectuelle » (mais que du coup elle était très heureuse de l'avoir vu). Elle a tout à fait raison. Pourquoi aller voir No Land's Song, alors qu'il n'apporte rien visuellement, esthétiquement ? Je peux attendre de le voir sur ma télévision. Sauf que grâce à son sujet, ce film est immédiatement perçu comme une œuvre qu'on ne peut pas trop critiquer, là pour nous faire réaliser à quel point nos petites vies d'occidentaux sont confortables et pour émouvoir face au combat tragique de ces femmes.
No Land's Song émeut ainsi beaucoup. Si ma note est si « haute », c'est que je n'ai pas été insensible aux personnages. Et si je dois rendre à César ce qui est à César, j'avoue que les scènes musicales sont transcendantes, mettent des frissons partout et la salle du cinéma est là justifiée. Mais quelques jours avant j'avais vu Belgica, rempli de scènes-clip esthétiquement sublimes, et je me demande pourquoi No Land's Song ne s'est pas autorisé quelques exercices stylistiques pour rendre visuelle la musique. On peut me rétorquer assez justement que les conditions de tournages ont été difficiles à cause des caméras presque cachées ou du manque de moyen pour le matériel, ce qui explique une réalisation faible, mais ça ne sauve pas l’œuvre. Pour une réalisation journalistique au message fort et émouvant, n'est-il pas plus « juste » de la diffuser gratuitement, à la portée de tous, à la télévision, sur une chaîne qui ferait une grande promotion autour ?
La distributrice du film nous a avoué que l'action des femmes du film n'a pas eu d'impact et je ne suis pas sûre que le film les aidera. Si je puis être moins radicale, je ne suis pas non plus contre une sortie cinéma mais le concert pour lequel les personnages se battent tout le film a été filmé et sera sur le bonus des éditions DVD. Entre nous, il serait plus malin de le laisser libre d'accès sur internet croisant les doigts pour créer un « buzz », rendant les musiques chantées appréciées et écoutées.
Il ressort finalement ici un film-reportage qui n'exalte que par ses scènes de chants intenses. Sauf qu'il n'est pas sincère à propos des conséquences, obscur au sujet du pourquoi du comment les personnages arrivent à certains objectifs, et plat au niveau du montage, de la réalisation. Il est poignant comme tout reportage assez bien fichus, au sujet délicat et révoltant diffusé sur grand écran le serait, mais ne peut être qualifié de pur chef-d’œuvre.
Il faudrait que le genre du documentaire se réveille, sorte des cases exclusivement politiques ou sociales, soit mieux distribué et promut, et ne se contente pas d'avoir un « beau » sujet, puisque c'est réducteur et finalement, ennuyeux.