Premier Kore-Eda. Je ne voulais pas m'étaler vu que tout le monde a déjà parfaitement tout dit mais il donne très envie d'être bavard, sans pour autant crier au génie, parce qu'il marque là où on ne l'attend pas et sait remuer sans tirer aux larmes ce qui est un véritable exploit pour ce type de film minimaliste présentant une langoureuse descente dans la misère.
Pas submergé donc, et le film ne tient pas à le faire ce qui le sauve à maintes reprises, mais indéniablement remué par cette oeuvre à la forte personnalité qui a l'immense atout de se concentrer sur les sensations du monde de l'enfance pour faire passer l'horreur de cette situation au Pathos intégralement contenu dans son sujet. Car oui, il y a tout de même ce pitch annonciateur et cette question sans arrêt : "comment cela va-t-il finir ?" Ce même genre de twist final que l'on attend encore et encore, parfois en désespérant qu'il reste encore 50 minutes à subir dans cet appartement qui a personnellement fini par me sortir par les yeux. Vers la fin, voir cette pièce me filait limite la nausée alors qu'elle était si accueillante au départ. Très fort là dessus.
Je déteste ce genre de procédé qui consiste à t'engloutir dans la lenteur et la misère croissante pour un seul dénouement salvateur ou non. Mais Kore-Eda ne twiste rien, n'utilise pas la fatalité, le voyeurisme ou le misérabilisme, ne cherche pas la fin coup de marteau et ne tient pas non plus à conclure. Il ne répond pas à cette fameuse question "comment vont-ils s'en sortir ?". Il a la décence de ne vouloir montrer que le point de vue de l'enfance et non celui de l'adulte. On ne voit jamais la mère autrement qu'avec ses enfants par exemple. C'est toujours le point de vue des enfants. Donc, il est difficile même de détester cette mère qui est toujours aimante et chaleureuse pour eux. (même si elle est à baffer avec sa voix de crécelle et raaaaaaaaaah meurs MÈRE INDIGNE !)
Malgré l'évidence légèrement irritante de cette lente descente vers l'insalubrité, Kore-Eda ne tient donc pas à se positionner, à condamner ni même à conclure. Il n'y a rien de plus à découvrir du scénario que son résumé : "Quatre frères et soeurs vivent avec leur mère. L'ainé, Akira, s'occupe de ses jeunes frères et soeurs, chacun d'un père différent. Un matin, leur mère disparaît et les enfants commencent à vivre seuls." Et c'est tout.
Il est donc beaucoup plus légitime d'être touché par une réalisation ultra sensible qui montre par flots de détails anodins tout ce qui fait l'enfance jetée dans cette vie adulte arrivée trop tôt. D'un autre côté, Kore-Eda est aussi un podophile chevronné (visiblement) et parfois, ces petits détails du corps pour interpréter une émotion sont trop systématiques. Comme s'il cherchait un peu trop à caractériser sa mise en scène de détails pour afficher un style unique. Cela reste minime. Ces petits instants connus de tous et trop peu souvent montrés ainsi nous ramènent aussi à l'enfance.
Le jeune Yuuya Yagira et les autres sont aussi parfaits parce que le film ne cherche pas les larmes. Il serait légitime de se demander s'il est normal que ces enfants soient si calmes et sereins, limite zombiesques, mais cela participe pleinement au charme de cet espace-temps étiré à l'infini de l'enfance. Pas de crise de nerfs. Les enfants sont naturellement formidablement résistants à la déprime et au malheur du réel.
Les sensations perdurent aussi magistralement après la séance. Nobody knows est éprouvant et désagréable autant que frais et épuré. Cet équilibre est si rare et ardu à maintenir que je ne peux que louer Kore-Eda pour cette finesse.
Mais n'empêche que le sujet lui-même relève aussi de la torture d'un docu misérabiliste. Là est son pathos qui surnage et que je ne cautionne pas. On peut très bien montrer le monde de l'enfance de façon aussi belle et terrible sans pour autant utiliser ce pitch minimal et sensationnaliste sur plus de 2 heures. Parce que tu crois que je le vois pas depuis le début où tu veux en venir avec tes petits plans de vendeur pleutre déguisé en père noël qui lance un petit regard naïf en compactant ses sacs plastiques ou ta jeune collégienne ingénue qui ne sait que dire ni que faire... Faux espoir.
Mais c'est tellement bien fait. L'entame est prenante, le quotidien tokyoïte dans ce contexte décalé est on ne peut plus prégnant et universel, d'une grande beauté d'âme. C'est long et lent et moins convaincant ses 50 dernières minutes (Booouh !) mais ce temps passé dans les ruelles de Tokyo marque. L'ambiance agit en profondeur, légère et dure comme la vie. Et même si le coup de l'aéroport ne m'a pas tiré de larmes ni de tristesse, c'est justement là où je le cautionne. Inutile d'en faire trop.