Filmer l’enfance a toujours été un défi particulièrement délicat ; entre la niaiserie condescendante et un regard d’adulte dénué d’authenticité, le point d’équilibre se fait forcément en réglant la question du point de vue. C’est là le parti-pris de Nobody Knows, qui évacue presque d’emblée la figure parentale pour se mettre au diapason de ce monde flou et fragile d’êtres en pleine construction.
La première séquence, qui voit débarquer dans une valise les plus jeunes enfants dans un nouvel appartement, cachés par la mère aux propriétaires, pourrait sembler ludique. Fantasque et un peu marginale, cette dernière rit aux éclats et pourrait presque passer pour libertaire, avant que ses absences répétées ne laisse place à un constat dramatique, celui de l’abandon pur et simple de ses enfants. Dès lors, le regard de Kore-eda va épouser la nouvelle donne : une rythmique de l’oisiveté, du silence et de l’attente, qui rappelle les belles séquences similaires entre sœurs dans Virgin Suicides ou Mustang. Décrocher d’une quête, laisser libre cours à cette angoissante libération de toute contrainte permet à l’adulte qui contemple le film une empathie, une compréhension nouvelle de l’enfance. Par la compréhension des limites de sa conscience, et l’appréhension de sa vulnérabilité.
Cette délicatesse, trait hautement japonais, et qu’on retrouvera dans un autre questionnement sur la famille, Tel Père Tel Fils, fait toute la valeur du film, rendu possible par des comédiens exceptionnels. (Yûya Yagira fut d’ailleurs, à 14 ans, le plus jeune prix d’interprétation masculin du Festival de Cannes.)
Puisque les adultes sont les grands absents (d’où le titre original, dont nous avons droit, allez comprendre, à la traduction anglais), la progression se fait dans un silence particulièrement éloquent. Longtemps cloîtrés à l’intérieur, les enfants finissent par laisser entrer d’autres camarades, qui rendent poreux à la délinquance et le désordre un lieu qui jusqu’alors les préservait. La gestion, par les aînés, de la vie quotidienne se dérègle progressivement, et le seul réconfort sera celui d’une excursion à l’extérieur, libération précaire avant les premiers signes d’une véritable misère : l’hygiène, la santé et le délabrement de l’appartement.
On peut considérer Nobody Knows comme un sorte de Tombeau des Lucioles en temps de paix : il y règne la même absence, celle d’un système qui ignore les laissés pour compte, à la différence près que ce récit-là n’a pas l’argument de la guerre pour justifier l’abandon.
Cette ambivalence permanente entre la solitude des enfants et le regard bienveillant de l’adulte qui les filme génère un film d’une profonde sincérité, qui ne cède jamais aux grands effets et à la grossièreté du pathos pour faire de ses personnages davantage des êtres dignes que des victimes.
À terme, notamment dans cette séquence finale troublante de mesure, l’adulte est renvoyé à sa propre émotion, qui définit une évidence : celle de sa responsabilité. Ou comment, par l’absence et le silence, susciter des sommets d’émotion.