Écrit il y a de nombreuses années, « Nocturama » se place, dès son postulat, comme une œuvre disposée à créer des débats. Subversif, le film l'est clairement, en nous attachant à des quidams qui, de manière objective, sont des terroristes. Comme il l'a déjà fait dans « Saint-Laurent » et « L'Apollonide », Bertrand Bonello, ici réalisateur et cinéaste, nous entraine dans un spleen éclatant les paradoxes : poésie et subversion, fascination et effroi, anti-conformisme et consommation, construction et destruction ; le tout épousant des personnages marginaux, jeunes, et tous issus de milieux différents, mais motivés par une conception du monde les poussant à commettre des attentats en plein Paris. Jamais nous ne connaitrons la force les poussant à accomplir des tels actes. Sont-ils révolutionnaires, sectaires... ? D'ailleurs, on peine à les prendre au sérieux : ils ont beau se rebeller, ils baignent dans la société de consommation, suivent la mode, écoutent de la musique mainstream et ne cessent de regarder leurs appareils high-tech. Le propos principal de Bonello, tout comme dans « Saint-Laurent », est donc une approche pacifique de l'anti-conformisme. La première heure du film n'est bien sûr pas sans rappeler « Elephant », long-métrage se portant sur la fusillade de Columbine, réalisé par Gus Van Sant en 2003. On retrouve les mêmes personnages mutiques, mais surtout le même montage antéchronologique et « l'effet Rashomon » (répétition d'une même scène, mais à chaque fois sous un angle différent). Toutefois, « Nocturama » n'utilise cette histoire que comme prétexte pour réfléchir aux apories de la société contemporaine.
Dans sa seconde partie, après que les gus aient commis leurs actes, le film vire au huis-clos. La bande se retrouve dans un magasin parisien luxueux, et s'y enferme dans le but d'échapper à la police. On peut dire que le film démarre réellement qu'à cet instant. Accompagné par la photographie millimétrée de Leo Hinstin, Bonello s'abandonne dans une rêverie sanglante, reprenant de manière audacieuse « Assaut » de John Carpenter, mais enfermant cette fois-ci des protagonistes ayant quelque chose à se reprocher, face au reste du monde. Ce qu'il faut comprendre, c'est que « Nocturama » ne remet pas en cause le terrorisme, ni la jeunesse, mais la société enfantant des monstres. C'est maintenant que les origines sociales multiples des terroristes entrent en jeu : certains se trimballent en costume chics, d'autres viennent du 93. On se demande comment ils se sont connus, et là non plus, le film ne se pose même pas la question, se centrant uniquement sur le présent. Fenêtre nihiliste et rêverie mettant en abîme le chaos absolu, « Nocturama » créé, à l'aide de quelques artifices, une ambiance cristallisant un anti-survival faisant malheureusement songer aux événements ayant frappés Paris le 13 Novembre 2015 (précisons que le film à été tourné seulement peu après l'attaque à Charlie Hebdo). Le cinéma de Bertrand Bonello a souvent été qualifié de baroque. Un terme qui, sans être faux, est abusif et vulgarisateur. Car si il semble aimer stimuler les émotions, le réalisateur, si il n'échappe pas à la démonstration de petit-malin, développe une esthétique allant beaucoup plus loin, épurant à l'extrême sa mise en scène pour souligner un monde capitaliste post-moderne et post-mortem.
Sensitif, « Nocturama » emporte vers un bouleversement intérieur, où gestes et mouvements entrainent vers le chaos et le vertige du coma sociétal. Flanqué d'un scénario en acier et d'une tribus d'acteurs prometteurs, ce brillant jeu narratif orchestre un ratio particulièrement large, et ainsi un confort de vision absolu dès qu'il devient psychologiquement tendu. Dès que les membres du groupe apprennent leur mort imminente, le film vire à une atmosphère froide, extrêmement stressante, se dilatant comme un échiquier venimeux entre opacité et transparence. Alliant les paradoxes pour identifier l'hypocrisie du monde actuel, « Nocturama » remet également d'aplomb la potentialité de l'industrie du cinéma en France, en nous mettant face à la fascination autant qu'à la tragédie. Explosion méticuleusement planifiée, ce long-métrage réussi à se faufiler dans les dédales de nos émotions aussi bien que dans ceux du métro. Autant ne pas avoir peur des mots : c'est une claque.