Lost Highway
L’écriture peut être une arme redoutable dans la construction machiavélique d’une vengeance. Il est vrai que le pouvoir de la plume a cette manie de faire resurgir en chacun de nous les pires...
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le 14 janv. 2017
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Dès la séquence d'ouverture, on est mis dans l'ambiance. Les images peu ragoutantes se succèdent au ralenti sur fond de musique lancinante, suscitant un malaise d'autant plus prononcé chez le spectateur que tout cela semble interminable. Même s'il est encore trop tôt pour savoir comment l’interpréter, on se dit alors qu'on va être face à un film pseudo-esthétique prétentieux dans le pire des cas, ou à une oeuvre marquante à l'artistique très soignée dans le meilleur. Au final, on est pas si loin de la seconde option. Je vais employer beaucoup de balises spoiler et je le regrette un peu, mais ça me parait nécessaire pour développer suffisamment la critique tout en ne ruinant pas le plaisir des lecteurs qui n'auraient pas encore vu le film.
On suit donc Susan, galeriste désabusée par la tournure que prend sa vie et qui reçoit un manuscrit qui lui est dédié de la part d'Edward, son ex-mari écrivain qu'elle n'a pas revu depuis 19 ans. Le casting et l’interprétation sont parfaits, mais ce n'est pas vraiment une surprise à la vue des différents noms proposés ici. Je ne connaissais pas par contre Aaron Taylor-Johnson, qui, je l'ai découvert à posteriori, a reçu plusieurs distinctions suite à cette prestation (notamment le Golden Globe du meilleur acteur dans un second rôle). Rien d'étonnant à cela vu qu'il est ici simplement bluffant.
Son interprétation du violeur/assassin redneck psychopathe dénué de tout regret donne rapidement envie de devenir meurtriers nous-mêmes pour lui régler son compte, ce qui est peut être considéré comme un bon gage de la qualité de l'acting.
La narration se fait sur trois plans (passé, présent, et la lecture du livre par Susan), ce qui peut être déstabilisant pour un spectateur qui ne sait pas du tout dans quoi il s'engage ou qui n'a pas la volonté de tenter d'interpréter le film. Ça n'est pas du Lynch, mais ça reste complexe. J'en veux pour preuve les "J'ai rien compris" et autres rires nerveux auxquels j'ai eu droit dans ma salle au déroulé du générique de fin. Viens s'ajouter à cela une certaine volonté que semble avoir le réalisateur de balader son auditoire.
Je pense notamment à la ressemblance physique très claire entre Amy Adams et Isla Fisher, qui me parait trop évidente pour être une coïncidence.
Cette volonté apparente est parfois contrebalancée par des scènes manquant de subtilité destinées à aider le spectateur dans l'interprétation du film, on peut avoir l'impression que Tom Ford a eu peur d’être allé trop loin et d'avoir perdu son monde.
Je pense bien sûr au passage du tableau REVENGE dans la galerie d'art.
Vue la tri-dimensionnalité du récit et le scénario plus complexe que la moyenne, j'ai eu tendance a élaborer pas mal de théories et a interpréter le film bien au-delà de la façon dont, je pense, il doit l'être. On ne va pas dire que j'ai été déçu par le final car ce n'est pas le cas, mais disons que l'on ressent un petit moment de solitude quand la vérité éclate et que toutes vos théories tombent à plat. Presque un "c'est tout ?" Mais je reparlerais du final plus tard. Personnellement, j'ai vu le film comme une réflexion sombre sur ce que l'on possède, ce que l'on gagne où l'on perd selon nos choix de vie, sur la vengeance et le regret. Entre autres.
Tout cela est exprimé métaphoriquement par le mari de Susan dans son livre, qui se révèle en fait être un message pour lui faire comprendre ce qu'il a vécu, ressenti suite à leur séparation et à l'avortement, la façon dont il a tenté de le surmonter, et qui est aussi au final une vengeance envers elle.
Les scènes les plus chargées émotionnellement se trouvent dans le récit d'Edward, et c'est un peu dommage dans le sens ou ça reste un récit dans le récit, et que ça a du coup un peu moins d'impact. Néanmoins, on a pas de mal a ressentir l’intensité des situations. Le final, qui est assez ouvert et sujet à plusieurs interprétations qui peuvent pas mal changer la morale du film
(Edward a t'il survécu et n'est-il simplement pas venu au rendez-vous pour se venger ou n'a t'il pas surmonté sa propre faiblesse dont on nous abreuve durant tout le film et fini par se suicider ? Personnellement je penche pour la première option, mais le fait que son personnage dans le bouquin meurre m'a donné quelques doutes)
, laissera le spectateur empli d'une forme de mélancolie, de solitude. Le film est globalement très froid et sombre à tous niveaux (scénario, esthétique, personnages), ce qui renforce le message qu'il veut faire passer. Il se permet même l'utilisation d'un jump scare, qu'on attend à priori pas du tout dans ce type de film mais qui est efficace, et contribue a renforcer le malaise global. Le travail sur le vieillissement/rajeunissement des acteurs est impressionnant, je ne sais pas si tout est fait au maquillage et à la coiffure ou si il y a du CGI derrière, en tout cas c'est bluffant.
Pour finir, je ne dirais pas que ce Nocturnal Animals est un OVNI car on a vu beaucoup de films complexes et tordus ces dernières années, mais c'est certainement une oeuvre à part avec une esthétique léchée et qui touchera celui qui se donnera la peine d'essayer de l'analyser. Tout amateur de thrillers souhaitant enrichir sa culture sur ce type de films se devrait de le voir. Un deuxième visionnage est sans doute bienvenu pour saisir toutes les subtilités scénaristiques. En tout cas, ça m'a clairement envie de lire la nouvelle dont le film est tiré, afin de voir si elle prend davantage aux tripes.
Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes Les meilleurs films de 2017 et Les meilleurs films avec Jake Gyllenhaal
Créée
le 22 janv. 2017
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