"Mais les poissons, Seigneur, je les mets dedans ou autour ?"
- Genèse, VII-14
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Après une nette baisse de qualité enregistrée sur ses deux derniers films, Darren connait pourtant un succès mondial avec le moyen-bof Black Swan. Dès lors, plus question de faire le tapin auprès des grands studios, et de bosser des mois et des mois sur The Wolverine pour rien : ils vont lui filer un paquet de pognon pour son prochain film d'auteur dérangé !
Et pour être 100% bankable, il se tourne vers... La Bible !
Ah la Sainte Bible, tous les peplums qu'on lui doit, ces torses nus huilés et ces sandales en cuir !.. Sauf que... mais oui, à bien y réfléchir, dans les années récentes, le bouquin a plutôt inspiré des films-de-psychopathe ( Se7en, La Passion du Christ... ) alors qu'est-ce qu'il va en faire, Aronofsky, de son histoire ?
Eh bien un monumental morceau d'Heroic Fantasy apocalyptique ! Avec des golems rocheux, des vieux sages magiciens, de la guerre et tout !
Armé de ses plus proches collaborateurs ( Libatique & Mansell en tête ) il va piocher dans la Genèse, ainsi que dans ses apocryphes, une histoire aussi vieille qu'elle est terrifiante. Dans un monde lointain, régit par un Dieu cruel, Noé comprend après une série de visions qu'Il va tout noyer sous peu et qu'il faut vite trouver un refuge digne de ce nom. Il n'y aura donc pas de sandales et puis de toutes façons, torse-nu sous la pluie c'est un coup à prendre froid.
N'oubliant jamais de décrire Le Créateur comme un abjecte fils de pute, tyran sanguinaire imbus de lui-même, Darren propose dans son adaptation un choc des idéaux brutal : Noé obéit aveuglément aux commandements de l'Être Suprême tandis que Tubal, héritier de Cain, dirige un groupe d'hommes déterminés à survivre de force et clame que l'Homme est sur terre pour dominer, vu qu'il est fait à l'image de Dieu.
Sur cette base le film pose la question de ce que veut dire "faire le bien" quand le Patron est clairement un gros taré. Tubal n'a pas franchement tort ! Pour son malheur il est agressif et stupide ( il aurait mieux fait de se construire une arche dans son coin, avec du blackjack et des putes ! ) mais incarne de façon très surprenante la voix de la raison...
De plus, Darren tord le cou au texte d'origine pour montrer un Noé convaincu qu'il faut en rester là pour l'humanité vu que Dieu a fait en sorte qu'aucun de ses fils n'ait de descendance... Toute la deuxième moitié du récit constitue une inquiétante mise-en-garde sur le fanatisme, qui trouve un écho froidement actuel.
Et de cette inconciliable opposition nait la meilleure scène du film. Noé raconte les premiers versets de la Genèse à sa famille, illustrés pour le spectateur par des images en simili-stop-motion ultra fluide de la formation de la planète telle qu'entendue par la science, et de l'émergence de formes de vies telles que comprises par Darwin... En joignant à ce moment précis le fond et la forme, Darren s'élève magistralement au dessus de toutes les divisions que provoquera le film. Bravo, jeune Maître, beau retour !