Petite virée en compagnie de quelques travailleurs de la sous-traitance de l'industrie nucléaire française, sur un secteur de niche : la maintenance et le remplacement, aussi souvent que nécessaire, de matériaux au cœur des réacteurs des centrales. On pourrait penser spontanément à un métier très conventionnel, occupé par des personnes au mode de vie très standard, mais les quatre employés que l'on suit dans Nomades du nucléaire vivent toute l'année dans des camping-cars, sillonnant la France au gré des besoins et des interventions. La caméra de Kilian Armando Friedrich et Tizian Stromp Zargari ne pourra bien entendu jamais pénétrer dans l'enceinte des centrales, mais les gigantesques tours de refroidissement feront constamment partie de l'arrière-plan de ces travailleurs toujours en déplacement, toujours à la recherche d'une place de camping ou d'un espace où garer leurs véhicules non loin de leurs lieux de travail.
Les agences d'intérim les qualifient de nettoyeurs de réacteurs nucléaires, et ils sont à ce titre exposés à des doses de radiation très élevées en itinérance d'une centrale à l'autre, et leur préoccupation majeure, commune à tous même si leurs chemins ne se croisent pas, ne tardera pas à s'esquisser : vont-ils aujourd'hui recevoir "LA" dose, c'est-à-dire une quantité de radiation trop importante qui les empêchera de travailler pour un jour, une semaine, un mois, et parfois plus ? Une incertitude majeure qui structure entièrement leur emploi du temps professionnel, ce dernier ayant une incidence écrasante sur leur vie personnelle évidemment. En échange d'un salaire important (et encore, c'est à relativiser étant donnée l'ampleur du risque encouru et des contraintes imposées), ils sont toujours sur le qui-vive, prêts à être envoyés en mission à l'autre bout du pays. Tous pensent à l'après, quand ils auront amassé suffisamment d'oseille, pour construire une petite maison dans la forêt, pour rejoindre la famille, pour partir ailleurs dans "l'après nucléaire"
La dose annuelle maximale est donc là, comme une épée de Damoclès tout au long de l'année, avec l'espoir permanent de gagner assez d'argent avant la prochaine période d'employabilité. Drôle de conception néolibérale du travail pour un secteur comme celui du nucléaire, où l'on n'imaginerait pas forcément une telle externalisation et une telle réduction de la charge salariale... Le docu en fait parfois un peu trop avec son paysage sonore angoissant très appuyé (qui s'accorde assez bien aux environnements nocturnes cela dit), mais il a le mérite immense de témoigner de ce monde parallèle et de ces vies périphériques.
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