Guinée pour gagner
Le cinéaste de Guinée-Bissau Sana Na N'Hada avait à l'origine un projet de triptyque, consacré à la guerre d'indépendance mené contre les colonisateurs portugais, tout au long des années 60, et...
le 6 oct. 2023
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Je ne me remets pas encore de l'expérience que j'ai vécu !! J'ai la sensation d'avoir été transporté hors du temps. Le scénario est incroyablement bien ficelé et l'utilisation de certaines techniques sert magistralement le propos du film !
Dans ma quête de rassembler les pièces éparpillées de mon identité d'Afrodescendant, j'ai la certitude d'être allé voir une œuvre immensément importante. Ce film répond à l'injonction de Frantz Fanon posée dans son ouvrage Les Damnés de la Terre : celle de se révolter contre un système bien nommé mais encore malheureusement tellement peu disséqué et enseigné de nos jours, le système colonial. Ce système profondément raciste, profondément injuste, qui a su se réinventer encore et encore, afin de perdurer encore aujourd'hui sous des formes bien plus sournoises que par le passé, et qui structure nos sociétés modernes.
Se révolter.
Voilà l'objet central de ce film. Celui de prendre les armes pour s'émanciper de l'oppresseur, et reprendre le contrôle de sa terre, la destinée de son peuple, pour construire un idéal d'autodétermination et de souveraineté à tous les niveaux : politique, économique, social et culturel.
Un idéal très difficile à atteindre, tant la route pour y parvenir est semée d'obstacles et d'embuches. Des obstacles structurels, idéologiques, des embuches prenant la forme de différences de valeurs, de conflits d'intérêts, et d'ego.
Telles sont les réalités auxquelles sont confrontées les Damnés de Frantz Fanon (comprenez ici colonisés), qui de la même manière que son contemporain, le grand Kwane Nkrumah, prévoyait que la pire forme de domination est le néocolonialisme. Néocolonialisme qui ravage encore bien l'Afrique et sa diaspora aujourd'hui.
Et ce sont toutes ces complexités qui sont incarnées par l'histoire, les choix et la substance construits autour de Nome, le personnage principal du film.
Mais 2 autres personnages enrichissent encore plus la portée de cette œuvre déjà réussie sur son inscription dans le réel et l'historiographie à travers ce que je décris plus haut.
D'abord le personnage de Nambu. C'est une fille qui arrive dans le village de Nome. Un événement va bouleverser sa vie pour toujours. Cet événement va la mener sur un chemin très difficile, dans un contexte de guerre. Sans révéler ce qui lui arrive, sa situation rappelle que ce si, à cette époque, ce sont presque exclusivement les hommes qui s’enrôlent ou sont enrôlés dans les forces armées et se battent, les femmes sont aussi en première ligne. Elles mènent aussi leur combat. Il faut aussi le raconter, et le mettre en avant à tout prix. Nambu est une figure qui incarne, à mon sens, la force, la volonté, la résilience de tout un peuple qu'on a tenté de taire, de voler, de rabaisser, de soumettre, de déshumaniser sur des prétextes abjectes et mensongers. J'ai beaucoup aimé le parcours de Nambu qui s'inscrit lui aussi dans le réel.
Le dernier personnage qui retient une attention particulière dans le film, c'est celui de Raci. Raci est un petit garçon du village qui perd son papa. Le film commence d'ailleurs sur la cérémonie des funérailles de cet homme. J'ai vraiment apprécié ces premières séquences, mise en scène simplement mais efficacement et qui nous plonge directement dans l'atmosphère du film, un peu hors du temps comme je le disais, parce qu'il nous fait voyager dans cette Guinée Bissau de la fin des années 1960, qui sera bientôt libérée des portugais.
Raci a perdu son son père, mais il a hérité du don de ce dernier pour un instrument de musique traditionnel du village et de la culture Bissaoguinéenne : la Bombolong. Pour honorer ce don et compléter le deuil de son père dont il doit honorer la mémoire, Raci doit partir dans la forêt, trouver le bois qu'il lui faut pour créer son propre bombolong, et revenir au village avec pour y jouer. C'est dans la forêt que l'évasion du réel se manifeste. Raci est habité par sa mission. L'incarnation spirituelle de son père en dépend. La bande sonore du film est habilement agrémentée du son du bombolong, qui participe à cette évasion du réel, ainsi qu'une autre figure que je ne révélerai pas, mais qui va incarner le niveau spirituel de lecture proposé par le film. Cette figure qui va interagir avec nous à travers les éléments du réel fait le lien entre avec ce qui occupe une place très importante dans les sociétés africaines. Ayant eu la chance d'avoir les explications du réalisateur à la fin de la séance sur l'aspect spirituel de son film, je n'irai pas là-dessus, parce qu'il offre aussi la possibilité d'interpréter certains éléments selon ses propres sensibilités (que je mets au crédit du film !).
Je finirai enfin par souligner qu'avec des moyens limités, et un casting comprenant 1 seule professionnelle (l'actrice incarnant Nambu - le réalisateur expliquait comment les autre acteurs et actrices ont du se former au métier), ce film est un chef d’œuvre absolu.
Cerise sur le gâteau, l'hommage rendu à Amilcar Cabral par un super clin d’œil du réalisateur dans le film est vraiment génial !
J'irai le revoir, c'est une nécessité. Un grand merci !
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Créée
le 2 avr. 2024
Critique lue 57 fois
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