Patricio Guzman nous offre avec cette Nostalgie de la lumière une méditation poétique dont l'esthétique est l'œuvre du plus adroit des orfèvres. Les pluies d'or qui embrasent les scènes, les transfigurent en pièces d'art, en objets de pure délectation sensible pour le spectateur mais symbolisent aussi, par un subtil jeu de contraste, la noirceur relative dans laquelle sont plongés les individus qui poursuivent la recherche à jamais recommencé de leur passé. Elles invitent silencieusement à la nostalgie, au regret parfois, mais surtout à l'espoir, l'espoir de trouver sous leurs pieds les ossements de ceux qui furent tant aimés pour ces femmes qui arpentent le désert, l'espoir de comprendre comment l'homme a-t-il été rendu possible, comme notre Terre s'est formée au travers des études de ces astronomes qui lèvent haut les yeux vers le ciel. Même si le long-métrage suggère aussi une élégie destinée à un âge d'or lointain où l'homme comme la terre serait vierge de toute altération, il est surtout un appel, un grand cri pour une reconquête de la lumière qui nous échappe, qui glisse comme ces flocons que l'on voit tomber sur l'écran. Cette lumière, je l'interprète volontiers comme le sens, le principe explicateur, ce qui éclaire notre vision par la connaissance: là où les femmes chiliennes voudraient comprendre l'incompréhensible monstruosité du régime de Pinochet, les scientifiques cherchent sans cesse à avaler le monde, à le comprendre tout entier et dans ce qu'il a de plus mystérieux à savoir son origine. L'homme dans ce Chili qui porte encore les vestiges de la dictature porte le lourd fardeau de l'ignorance, et la quête de sens est sans fin, parce qu'il y a toujours là sous la terre des corps qui gisent sans nom, anonymes dans cette vaste étendue brûlée comme abandonnés. Quant à l'étonnement devant l'étrange naissance de ce sans quoi nous ne serions rien, de cet Univers dont nous peinons tant à concevoir ne serait-ce que son absence de limites, il est fécond, engendre sans cesse des calculs, des théories et des contemplations, là haut, de la lumière.
L'habileté du film à lier presque intrinsèquement les deux quêtes du passé présentées comme un même mouvement, une même volonté de comprendre, d'être éclairé, fait tout le suc du chef-d'œuvre de Patricio Guzman. Le film présente d'abord comme des tableaux séparés, qui s'alternent, l'enquête des sœurs, des mères, des veuves chiliennes qui fouillent la terre pour y retrouver leurs proches morts sous la dictature, pour savoir quel est leur passé pour comprendre sur quoi s'est construit leur existence, orphelines en quelque sorte car ignorantes d'une part de leur propre histoire et la recherche des quêteurs du ciel, ceux qui usent leur regard contre les grands télescopes à la recherche de la lumière, de la compréhension de la genèse de notre monde. Mais à la fin, par une alchimie étrange les deux quêtes se confondent, le regard plongé dans le désert s'élève dans les télescopes, les perspectives convergent confondant lentement pour se tourner vers le ciel faisant de toute contemplation la fouille d'un passé plus ou moins ancien.
Regard-Humain
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le 20 déc. 2010

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