A partir des enregistrements sur cassette effectués par John Hull, écrivain, théologien et père de famille ayant définitivement perdu la vue, le couple de réalisateurs Peter Middleton et James Spinney construit un film remarquable, d'une grande justesse et réussit l'extraordinaire prouesse de nous plonger sans nous priver de l'image dans le monde autrement sensoriel de la cécité à travers une caméra opaque, floue et fuyante suivant le point de vue interne du protagoniste.
Loin de tout pathos, c'est avec empathie et une forte mais mesurée émotion que nous suivons l'adaptation courageuse de J. Hull à sa nouvelle vie privée du sens de la vue, en épousant les formes de son intériorité grâce à la focalisation interne. Celle-ci relève le défi de nous faire partager son quotidien d'aveugle sans nous priver de l'image – l'essence du cinéma - mais en la limitant et en conditionnant notre regard: gros plans sur des parties du corps hors action, absence fréquente des visages (ici symbole de la matérialité humaine), flou et défocalisation, plans en contre-plongée sur la lumière intense jusqu'à l'aveuglement, recours récurrent à la voix-off, longues transitions entre les scènes faites de noir complet, … participent à cela, de même que l'accent porté sur l'audible et ses nombreuses manifestations crée une atmosphère chargée de poésie.
Cette poésie est mise en scène dans les vagues réminiscences que sa mémoire fuyante lui concède, ou aussi dans les scènes oniriques de pluie dans l'intérieur de sa maison. Celles-ci, surprenantes voire même déroutantes en raison du sentiment d'étrange familiarité qu'elles suscitent, prétendent traduire le renfermement du moi de Hull reculant face à l'attaque de l'extérieur éprouvée comme une nature indomptable et dominatrice. Car bien que toujours à ses côtés, son entourage – ses enfants, son épouse, ses parents – ne peut ni l'aider à recouvrer sa vue ni partager sa douleur. Il est donc contraint à l'isolement; et si l'acceptation de sa nouvelle situation apparaît comme un défi qu'il relève, il n'en est pas moins contraint de s'enfermer dans un monde que lui seul peut comprendre. Un monde où la science côtoie la foi et où l'émotion est subordonnée à la raison.
Un grand film donc, quoique sans prétention, sur le regard et les questions du rapport à soi, à l'autre et au monde.