Adapté du manga « Kamakura Diary », « Notre Petite Sœur », nouveau film du japonais Hirokazu Kore-eda, poursuit les obsessions de son réalisateur envers les liens familiaux. De retour en compétition officielle lors du Festival de Cannes de ce millésime 2015, celui qui en 2013 avait fait pleurer Steven Spielberg avec son « Tel père, tel fils » semble avoir laissé les festivaliers sur leur faim. Il est vrai que « Notre Petite Sœur » pourrait se qualifier comme un film simplement « gentil », un mot qui d’ailleurs revient souvent dans la bouche de ces quatre héroïnes. Cependant, il s’agirait plutôt d’une œuvre moins tendre que délicate, emportant dans les couloirs d’un Japon perdu entre la modernité et ses traditions.
Dans ce temple de bonheur, Kore-eda installe rapidement une atmosphère simple, prenant la forme d’un cocon où règne l’harmonie et la pudeur de la vie familiale, imposant une analyse toute en finesse des rapports humains. Le film prend sa base uniquement sur les destins croisés de ces quatre sœurs, les filmant à travers leur quotidien, qu’il s’agisse de leurs études, du travail, des vies amoureuses. Gorgé de vie, paisible et serein, « Notre Petite Sœur » déploie rapidement sa subtilité, sa simplicité ainsi que sa pudeur en explorant la filiation et le deuil, posant ses questions avec toute la délicatesse et la fragilité d’un cœur de porcelaine. Il y a un peu de Ozu dans ce film. Il y a également la simplicité d’un Mizoguchi. Kore-eda parvient à créer l’émotion à partir de rien, donnant davantage de vie à son film en analysant avec un incroyable sens du détail les tranches de vie des héroïnes. Elles sont tantôt filmées comme des sœurs, tantôt comme des femmes, et le réalisateur, malgré son contenu très classique, ne tombe jamais dans un pathos gluant.
Cependant, « Notre Petite Sœur » laisse gesticuler des défauts qu’il aurait aisément pu éviter. Notamment son montage, qui aurait gagné à être davantage harmonieux ou du manque d’inspiration de Kore-eda, ce dernier usant de nombreux artifices qui au final réduisent presque involontairement la dimension poétique du film. On repense notamment à la séquence où la sœur cadette traverse en vélo, avec son ami, des arbres en fleur. Cette scène est très belle, mais sonne malheureusement comme une étape assez artificielle, n’apportant que davantage de fraicheur à un film qui en a déjà à revendre. Mais si il est touchant, « Notre Petite Sœur » ne parvient également jamais à apporter l'empathie, malgré la perte d’un personnage, impossible d’éprouver un frisson. Car Kore-eda tourne en rond et glisse dans un récit très lisse, en proie à de nombreuses répétitions.
Peut-être aurait-il mieux valu structurer le récit, au lieu de le fluidifier à un point où il est difficile d’échapper aux faux-raccords mettant en lumière la platitude de l’histoire. Fort heureusement, Kore-eda utilise l’humour avec une sagesse et une sensibilité remarquable, embellissant ces quatre femmes à travers de simples rires, attachant le spectateur à l’image en filmant leur mode de vie, leurs envies, leurs tics, leurs habitudes. On comprend rapidement ces êtres, enveloppés par la beauté de ce plan final qui laisse place à une note d’optimisme. Puis finalement, s’y il ne transcende pas grand chose, « Notre Petite Sœur » se laisse savourer comme un carré de sucre, en accouchant d’une bien belle tendresse, ainsi que d’une beauté digne de ce nom, parvenant, finalement, à émouvoir à travers sa discrétion.