On ne s'attend à pas grand chose. A trois fois rien. Et lorsque le brouillard des images jaillit sur la toile blanche d'un écran géant, tout se fracasse en mille morceaux. Le visage pris en pleine face dans l'englutissement d'images qui effritent leur beauté limpide, comme un flot linéaire d'une beauté ample, parfaite.
Parce que l'on s’aperçoit d'une chose : le créateur de ces images, c'était cet homme qui se tenait face à la salle remplie à bloc : un petit homme modeste, qui présentait avec simplicité le film projeté, en japonais. C'était cet homme que l'on écoutait avec respect, fascination, les mots japonais entrant dans nos oreilles comme quelque chose d'étranger et d'infiniment beau. C'était cette curiosité étalée face aux autres. Ces autres qui maintenant, allaient admirer un film d'une fulgurance rare.
Car ce que l'on perçoit d'abord, qui nous arrive en plein visage sans prévenir, ce sont ces corps. Filmés avec une beauté désespérante, une grâce folle, une humanité sans pareille. Le corps de ces cinq femmes, excessivement grandes, frêles et longilignes, fines et gracieuses, amples dans leur capacité à s'élever jusqu'au ciel. Ces corps, tous ces corps, finesse fantomatique, élévation dans les étoiles, ils sont partout de part leur maigreur : chez les hommes, chez les femmes, corpulences similaires, désir de toucher les étoiles, telles des cigognes qui ne cessent de grandir et de communiquer leur limpidité à la face des autres, les spectateurs, ceux qui reçoivent tout en plein visage.
Le réalisateur ne cesse ainsi de les allonger jusqu'au ciel, grâce à une caméra qui les magnifient de plein pied, tellement hautes parfois que le reste de leur corps dépasse de l'écran, il ne reste plus que leur jambes. Liberté du déplacement dans le monde.
Notre petite sœur possède également cette naïveté propre aux Japonais, cette profonde innocence que l'on peut retrouver dans un Miyazaki ou dans Il était un père de Ozu, seules brides de références d'un cinéma Japonais qu'il faut de toute évidence que je prenne le temps de découvrir.
Parce que cette image d'une fillette qui s'enfonce à vélo dans les envolées sauvages d'arbres en fleur, parmi la vitesse du monde et l'innocence des rires, ça n'a pas de mots. C'est transfigurant d'innocence, une innocence pure, viscérale, étalée avec plénitude sur l'écran géant d'un film, et quel film ! Ainsi, il nous faut découvrir l'entièreté d'un réalisateur, dont seuls les titres des films nous restaient connus, mais pas leur contenu : je rêvais de voir Tel père tel fils en ne sachant pas qu'il avait été réalisé par ce même réalisateur. Je rêvais de voir Nobody Knows, I wish, en ne sachant pas une seconde que le créateur de ces mêmes œuvres était celui de Notre petite sœur. Magie d'une révélation cinématographique. Noms de réalisateurs japonais que je ne retiens pas, car ils restent imprononçables, aux sonorités toutes semblables.
Juste pour la fureur considérable d'une légèreté à couper le souffle, d'une naïveté perdue, innocence exacerbée dans les méandres d'un monde, soudain Notre petite sœur n'a pas de mots. Soudain le cinéma Japonais devient un coffre fort, une caverne de secrets qu'il nous faut découvrir pas à pas, et vite.
Innocence atypique qu'on ne trouve nulle part ailleurs dans l'histoire du cinéma, si ce n'est peut-être cette naïveté perdue qui jaillit du cinéma muet, l'origine du monde, celui du 7e Art et de tous ces fourmillements d'images qui peuplent notre monde.