"...éveiller dans le cœur des échos prolongés." (Victor Hugo)
Festival Sens Critique, 14/16
Pas de récit.
Pas de dialogues.
Pas de propos ?
Après L’homme à la caméra de Vertov, où le ciné-œil donnait à voir la ville, Pelechian propose ici qu’on la quitte vers les hautes sphères.
Mises à feu, décollages, mouvement continu des engins fabriqués par l’homme et l’arrachant à la pesanteur : on vole, on roule, on décolle.
On s’écrase, on explose en plein vol.
Notre siècle, donc : celui de la conquête verticale d’un espace entièrement colonisé dans son horizontalité, celui de l’avènement de la machine, esclave monstrueuse et dévorante de nos ambitions à la mesure d’un monde sans Dieu, que l’humain peut désormais lui-même anéantir par son ingénierie dans un ballet splendide de champignons atomiques.
Pelechian ne fait pas un documentaire, mais un collage d’images d’archives dont la collusion fait sens. Pas d’images en couleurs, alors que nous sommes en 1982 : le noir et blanc, souvent bleuté, assure une cohésion supplémentaires à la masse disparate des fragments, autant qu’il nous renvoie à une expression nostalgique d’une modernité déjà désuète.
La musique et le montage sont les cœurs du sujet. Le poème visuel qui s’en dégage génère un clip de cinquante minutes, extrêmement travaillé dans sa structure fondée sur les échos et les inflexions, les modulations et les points d’orgues. Alors qu’on ne cesse de décoller, que les comptes à rebours reprennent incessamment, l’envol progressif du spectateur par l’hypnotique rythme procure l’ivresse des hommes montrés à l’écran.
Un film expérimental qui se vit comme une expérience sensorielle, pour peu qu’on accepte de lâcher les amarres du film traditionnel rivé à la narration, ode à l’envol, hommage aux hommes, regard attendri et en surplomb sur les petits remous du XXème siècle.
« Il y a eu la Tour de Babel : pour punir les hommes, Dieu a séparé les peuples en différentes langues. Moi, j’essaye de m’adresser à ce domaine commun qui liait l’humanité avant cette séparation, celui de l’émotion. Il ne s’agit pas de prétention ; je crois que le cinéma en tant que tel, pas seulement le mien, possède les moyens de cette ambition ».
Artavazd Pelechian - Entretien avec Pelechian réalisé par François Niney en mai 1991 pour Les Cahiers du cinéma, n°454, avril 1992.