Avant que la situation n’empire en Allemagne, une famille de juifs non pratiquants se sauve au Kenya, au fond de la brousse et exploite une ferme. Nowhere in Africa, c’est d’abord une histoire d’identité et donc de relations. Ce couple qui se perçoit allemand, avant de se percevoir juif, est menacé dans son pays. Walter, à la profession brillante d’avocat se trouve propulsé dans un travail de fermier auquel il ne connaît rien. Jettle qui vient d’un milieu bourgeois, raffiné et cultivé, atterrit au milieu de nulle part et se trouve confrontée à une vie rustre et simple. Quant à la petite Regina, elle entre de plain-pied dans ce nouvel univers. Elle est immédiatement en harmonie, au diapason des gens, de la langue, de la culture, des paysages, du contact avec les animaux et la nature. En arrivant elle est accueillie dans les bras chaleureux et bienveillants de Owuor, le cuisinier Masaï de la ferme. A son contact elle va tout apprendre de ce coin d’Afrique.
Walter a précédé Jettle et Regina en Afrique. Dès qu’elles le rejoignent, les tensions apparaissent. Jettle est totalement dépaysée. Elle se révolte et rejette ce pays, ces gens, ce lieu. Son comportement, ses paroles sont racistes et font penser à l'attitude des nazis face aux juifs... Elle arrive avec ses réflexes de vie bourgeoise et elle est complètement décalée. Avant de partir elle a acheté une robe de soirée luxueuse qu’elle a apportée avec elle. Pourtant au fil des années, elle va évoluer. Elle apprendra le travail des champs, la langue et à respecter les Masaïs. Je retiens deux scènes très belles la concernant. L’une où elle pleure en voyant une vieille africaine à terre, qui agonise en dehors du village selon la coutume. Jettle est bouleversée, mais en pleurant sur cette femme âgée, elle pleure aussi sur sa mère dont elle vient d’apprendre la déportation et dont elle est séparée depuis des années. La réalité de la mort devient l’expérience d’une humanité partagée, elle atteint les hommes de toutes races, de toutes cultures, de tous milieux sociaux. L’autre scène magnifique est celle où, pour la première fois, après plusieurs années de vie au Kenya, elle porte sa superbe robe de soirée scintillante pour participer, également pour la première fois, à une cérémonie rituelle africaine. Quelle manière plus belle d’exprimer le sentiment d’unité opérée entre le milieu d’où elle vient et le milieu où elle habite désormais et qu’elle a adopté.
Malgré cette transformation radicale de Jettle, les tensions dans le couple demeurent car Walter et Jettle n’ont pas le même tempo, ils sont sans cesse en décalage. Quand lui s’investit dans ce nouveau lieu de vie et l’adopte, Regina est dans une attitude de rejet. Quand à sont tour elle a adopté ce lieu, lui ne pense plus qu’à rentrer en Allemagne une fois la guerre terminée. Conflits et retrouvailles ponctuent cette relation mise à mal par les événements qu’ils ont à traverser.
Nowhere in Africa, c’est également une photographie sublime magnifiant les vastes paysages du Kenya, sa luminosité, ses couleurs, sa rudesse. C’est aussi une superbe BO, bien dosée et toujours juste dans les thèmes choisis.
Nowhere in Africa aborde un sujet peu traité au cinéma, celui des juifs qui ont fui avant la guerre. S’ils ont échappé aux atrocités des camps de concentration, leur vie de déracinés n’a pas été simple, ni à l’étranger, ni lorsqu'ils sont éventuellement revenus dans leurs pays d’origine. L’histoire de cette famille qui nous est racontée ici est tirée du roman autobiographique Une enfance africaine de Stephanie Zweig. La réalisatrice Caroline Link a su en tirer une œuvre cinématographique d’une grande beauté. C’est un film qui se savoure tout simplement.