Il s'agit d'un objet difficile, exigent, quasiment bégueule dans la manière qu'il a de s'offrir au spectateur mais aussi d'une oeuvre totalement libre, marquante et intelligente dans sa portée. Paul Vecchiali ( cinéaste délibérément marginal depuis ses premiers films au début des années 60 ) adapte l'Oeuvre inépuisable de Fiodor Dostoïevski dans cette lente, étrange et troublante excursion nocturne qui place le texte au coeur de sa dynamique. L'importance accordée à l'écriture est prédominante dans Nuits blanches sur la jetée, le réalisateur concentrant l'essentiel de son dernier long métrage autour d'un duo de personnages, de leur interaction physique et verbale, réduisant la technique au strict minimum...
Ainsi le taciturne Fédor et la pétillante Natacha ( respectivement joués par Paul Cervo et Astrid Adverbe ) taillent une longue et délicieuse bavette sur la jetée du port de Sainte-Maxime sur fond d'amour et de désespoir, discussion à la rythmique et à la musicalité très étudiées par Vecchiali. Comptant à peine une quarantaine de plans et tourné presque intégralement de nuit, sous le flux incessant de la lumière d'un phare enrobant les deux figures le film reprend beaucoup de l'idée bressonienne du modèle : Paul Cervo, monolithique, récite le texte aux côtés d'une Astrid Adverbe mystifiée par le cinéaste... Il en résulte un moment littéraire fortement soutenu mais aussi cruellement plan-plan sur la durée, faute à un réel manque de moyens techniques. Théâtrale et verbeuse Nuits blanches sur la jetée se livre telle une expérience aride et assumée comme telle, oeuvre évoquant à certains égards les morceaux d'économie visuelle du cinéma de Manoel De Oliveira.
Entre abstraction et prosaïsme, exubérance et introspection, simplicité et fulgurances poétiques Vecchiali propose et donne à voir une intimité douloureuse et partagée dans la confidence de l'obscurité. Le film avance en demi-teinte, toujours entre deux états, pour mieux rendre visible ce qui lui est intrinsèque : le trouble d'une apparition, d'un rêve, d'un ravissement. Saluons, malgré l'indiscutable lourdeur de l'ensemble, l'empreinte unique et l'absence totale de complaisance de ce poème romantique dont la scène de danse, présentée dans l'artifice le plus volontaire, en impose à elle-seule le visionnage. Etonnant.