À vouloir résumer, en quelques mots, le scénario du nouveau film de Lou Ye, la certitude d’un mélo moderne et complexe transparaît alors plus sûrement que celle de deux corps qui s’enlacent, souvent, à la faveur des pénombres clandestines. Et celle aussi d’envisager que l’on est, finalement, très proche d’une intrigue almodóvarienne (La loi du désir, Le labyrinthe des passions...) avec ce qu’il faut de gays, de travestis, de chassés-croisés romanesques, de ménage à trois et de femmes au bord de la crise de nerfs. Mais l’Espagne colorée, furibarde, du cinéaste castillan a laissé place à une terre chinoise esseulée et triste, ensevelie sous le poids d’un quotidien normé, usé, où l’horizon de pluie n’est qu’un large fleuve gigantesque avec des cargos noirs dessus.
Les émotions s’arrangent et s’échangent, passent d’un corps à d’autres peaux, d’un couple à d’autres étreintes, à d’autres baisers. Amour à deux, relation à trois, le soir, sous les nuages, dans une forêt, un karaoké sans personne, homme et femme, homme et homme, pas besoin de limites mais de temps, d’instants, l’essentiel étant de pouvoir s’aimer, de parvenir à aimer celui que l’on désire un peu, beaucoup, à la folie. Fébrilité des sens, fragilité des rapports, Nuits d’ivresse printanière observe cette valse des sentiments et du sexe pour dire l’incandescence des jours amoureux au cœur d’un monde rejetant la marginalité, l’excès, la beauté tragique des passions.
L’image est comme trempée dans un bain de gris dont le seul éclat serait la lueur crue des néons, la nuit, et des fenêtres laissant passer quelques journées, quelques matins blafards. La caméra tremble, cherche, semble se perdre à tout suivre, à tout capter. Lou Ye s’égare lui aussi à vouloir faire (trop) durer les frémissements, la chronique sociale d’un pays qui contraint et entrave depuis si longtemps. Son film s’évapore, ennuie, s’éternise parfois pour rien, dit trop de choses, s’éparpille en scènes inutiles qui en délitent d’autres, pourtant simples et bouleversantes. En condensant davantage, en allant plus directement vers une sorte d’impératif brûlant et érotique (celui de l’affectif, de l’enivrement promis par le titre), Nuits d’ivresse printanière aurait gagné en fièvre existentielle traduisant à l’envi cette urgence de vivre et de goûter à tout, et devenir ainsi cette œuvre superbe, sauvage peut-être, sur les tourments voluptueux de belles amours interdites.