On reste en général circonspect quant à la motivation profonde d’un créateur, une fois l’œuvre rendue publique. Mieux, pour les meilleures d’entre elles, il arrive souvent que l’on ait pas la moindre idée du moteur intime de son auteur, plusieurs décennies après.
On ne m’ôtera pas de l’idée qu’en l’espèce, le déclencheur de ce Nymphomaniac: volume 1 est d’une simplicité telle que toute part de mystère lui est interdite. Sans cela, le film doit compenser par de sérieux atouts ce manque d’inconnu, et les premières minutes sont terriblement brutales: il faudra faire sans l’un et sans les autres.

Friand de scandale et de sensationnalisme, Lars Von Trier et son équipe s’était fait une joie, à l’occasion du Festival de Cannes où était présenté Melancholia, d’arroser toutes les directions de la transgression avec un manque de bonheur que peu d’entre nous ont oublié. Charlotte déclarant qu’elle serait prête à faire un porno avec Lars, le même Lars gloussant en annonçant que d’ailleurs son prochain sera un porno, hi hi hi. Il n’en fallait donc pas plus pour passer à l’acte.

Je suis bien conscient que LVT trouvera parmi sa cohorte d’adorateurs transits des amateurs de ce premier tome, il me semble quand même qu’il faudra s’armer d’une sacré dose de mauvaise foi pour défendre cet exercice.
Rater un film sur le sexe est plus qu’une probabilité, quasi une promesse, mais ce n’est pas une raison pour se prendre à ce point les pieds dans le tapis.
Porno intello ? Œuvre sur l’intimité ne refusant pas l’image crue ? Nymphomaniac n’est ni l’un ni l’autre, et voilà deux heures de tentatives plombées par des dialogues pontifiants, de moments de cul dénués de tout érotisme, d’excitation, de beauté ou même, donc, de mystère.

- Monsieur et madame Biensucémoi ont un fils (1)-

«Remplis-moi tous les trous» dit Stacy Martin à Shia Labeouf (dont nous savons désormais qu’il est capable de performer physiquement sur un plateau, c’est déjà ça) et c’est malheureusement le choix du réalisateur Danois pour combler ses vides entre deux scènes de sexe. Par la bouche didactique de Stellan Skarsgarde, plus rien ne vous échappera, une fois le film vu, sur des sujets aussi divers que la pêche à la mouche, l’art de manier la fourchette à gâteaux ou la polyphonie au XVIIème siècle.
Ceci concerne les sujets lourds, dont le parallèle avec les besoins sexuels insatiables de Joe sont traités avec la finesse de l’aspirant député FN devant sa page Facebook avant la réunion en interne du parti sur les sujets sensibles à éviter.

En évoquant l’aspect politique du film, on ne pourra s’empêcher de remarquer la merveilleuse tirade du personnage de Seligman sur son "antisionisme qui est très différent de l’antismémitisme", autre preuve de la légèreté pédagogique du fringuant Danois (le fait que ce dernier s’adresse à une interlocutrice alors affublée d’un pyjama gris à rayure étant sans doute une simple coïncidence).
Chaque idée (?) est immédiatement illustrée par un plan asséné avec la vigueur d’un forgeron frénétique battant son enclume au rythme léger d’un morceau de Rammstein, et vous n’échapperez pas à l’avion qui vole, le léopard qui te mord amoureusement le cou, l’angle idéal pour réussir un créneau ou la magie de la suite de Fibonacci.
(On a même droit, détail piquant à une théorie universelle sur la façon de se couper les ongles, qui n’est valable que pour les droitiers).

-Monsieur et madame Tumencule ont une fille (2)-

Évidemment, devant autant de remarques pointant les lacunes scénaristiques et artistiques du projet, ma note peut sembler un peu surévaluée. Tout n’est cependant pas totalement pourri au royaume du Danemark, puisque le choix du découpage de "l’intrigue" (attention, gros guillemets) en chapitre permet d’alterner les ambiances, allant du pire (quel est donc intérêt du chapitre 4 sur la mort du père ?) au "un poil mieux", la scène où apparaît Uma Thurman étant un des bons moments de la séance, même s’il aurait supporté d’être un poil (de pubis) plus court.
Connaissant le goût du risque de son auteur, le film permet au spectateur de guetter la scène suivante avec une certaine curiosité, ce qui a le mérite de le tenir relativement éveillé, certains cadrages étant même à la limite de l’agréable. Je ne suis cependant pas sûr que le fait d’avoir vu plus de pénis (au repos) en une minute que, sans doute, dans tout le reste de mon existence soit en soi motif de me réjouir.

Alors bien sûr, il s’agit d’une première partie, et un panneau initial a beau jeu de nous parler de censure et découpage qui irait à l’encontre de la volonté de LVT. Jusqu’à quel point cette information est dénuée de toute manipulation, nous ne le saurons sans doute jamais et il nous sera impossible de juger définitivement le projet Nymphomaniac avant d’avoir vu l’intégralité des chapitre de cette mini saga.
Pour rester dans l’esprit de ce que je viens de voir et pour qualifier cette moitié d’œuvre, je pourrai sereinement estimer que pour le coup, je suis encore assez loin de la demi-molle.

Et puis, si on doit rester dans le registre de la nymphe, même célèbre, je préfère de loin celle-là:
http://www.dailymotion.com/video/x3o0wf_essai-colette-renard-les-nuits-d-un_music

(1) Humphrey
(2) Salomé
guyness

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