4 heures suffiront, et je n’irai pas, en dépit de mon éthique, vérifier la version « non censurée intégrale ». Nymphomaniac aura été éprouvant, irritant, stimulant, par instants. Vain ? pas totalement.
Fidèle à son propos, LVT mène une habile campagne de provocation qui atteint dans ce dernier opus des sommets.
Provocation morale, tout d’abord, annoncée depuis longtemps : tout le catalogue des perversions défile, et il est difficile de ne pas y voir un cahier des charges scolairement rempli par le bon élève malicieux : triolisme, SM, pédophilie, chasteté, même, une expérience parmi d’autres, auxquelles on ajoute des réflexions volontairement dérangeantes sur les nègres et les pédophiles. Manquerait la scatologie, mais rassurons-nous, Joe se fera tout de même pisser dessus.
Provocation esthétique : à deux ou trois rares exceptions, et à l’inverse du premier volume, ce film est objectivement et volontairement laid, les couleurs ternes, le glamour du name dropping du générique annoncé désamorcé dans des caméos assez vains. On retiendra deux scènes, celle de l’arbre très tarkovskien, assez belle, et surtout les séquences de SM sur lesquelles nous reviendrons. Cerise sur le gâteau, les citations de plus en plus lourdes, les stock-shots, les références à ses propres films (Breaking the waves pour le mari qui pousse sa femme à aller voir ailleurs, et sommet absolu, la réécriture du prologue d’Antichrist, avec la même musique) : ce n’est pas un réseau qui se crée dans son œuvre, c’est une autopromotion stupide et vaine.
Provocation sémique, enfin : LVT n’aime rien tant qu’à casser ses jouets et malmener celui qui fera l’effort de le suivre. Impossible en effet de donner réellement sens au parcours de Joe, et de se positionner par rapport à ses différents revirements. Son rapport à la famille, à sa fille adoptive, au crime, ses résolutions, sa jalousie… Tout est possible, et il est bien difficile, au gré des chapitres qui se succèdent de plus en plus comme des nouvelles saisons de soap, de déceler un fil conducteur.
Dans Ridicule, l'abbé de Vilecourt, joué par Bernard Giraudeau, est une sommité dans l’art de l’éloquence. Alors qu’il vient de prouver à la cour l’existence de Dieu, il fait un pas de trop qui le perd : il remercie sa majesté en lui affirmant que pour elle, il pourrait, la fois suivante, lui prouver le contraire. Cette propension à parler de tout et commenter, par l’art du langage, ce qui ne fait pas forcément sens, est à mon sens très précisément la position du critique face aux films de LVT, particulièrement Antichrist et Nymphomaniac. Auteur singulier, dérangeant, objectivement doué, c’est avant tout ses exégètes qu’il malmène, leur donnant à mordre des saillies magnifiques entourées d’un bourbier dans lequel il jouit probablement de les voir se débattre.
Les scènes de SM sont à ce sens probablement le cœur du film. Glaciales, dénuées de sens, de discours et de motivations, irradiées par un Jamie Bell à la fois boy scout et effrayant, elles sont clairement programmatiques du film. Prenez les coups, ne cherchez pas, laissez-vous enfermer dans le système –apparemment – très pensé de son concepteur, ses nœuds, votre position, la durée, le nombre de coups. Si vous êtes prêts à aller jusqu’au bout, suivez ses instructions pour fabriquer vos propres instruments de supplice. A vous de voir, enfin, ce que vous en retirerez.
Le pessimisme du propos est évident. LVT regarde les hommes comme Joe les pédophiles : au cœur de chacun, pense-t-il, se niche le pire, et son travail consisterait à le mettre au jour. La récompense, une fellation pour Joe, pourrait être le film qu’il en tire. Parfois, le plaisir est réel (Melancholia), d’autres, il est inaccessible (Antichrist), si ce n’est par la dérision.
LVT ne semble pas maitriser tout ce qu’il dit et montre, et c’est lui faire honneur que d’y chercher à tout prix du sens : c’est là sa jouissance d’enfant gâté : je sors des horreurs sur les nazis, les nègres, je vous montre des images dégueulasses, mais vous m’aviez auparavant mis sur un piédestal. Que faites-vous avec ça ? Allez-y, vous avez 1000 mots.
Le comportement final de Seligman le prouve : l’attitude de l’intellectuel dissertatif, du commentateur ascète n’est pas plus enviable et immaculée que celle de la pécheresse empirique. A nous de voir, donc, si nous acceptons d’occuper cette position qu’il méprise autant que les autres, et qu’il nous impose.