Classique de SF du cinéma polonais, perle hautement confidentielle dans nos contrées. Telle est la situation de "O-bi, O-ba". Un nom oh combien étrange pour une pochette qui ne l'en est pas moins mais dont la signification sous-jacente est évidente. Et il s'agit bien de la mort ! Car oui Piotr Szulkin a réalisé un film sur des morts en sursis. Après une catastrophe nucléaire qui a ravagé la Terre, les rares survivants n'ont eu comme autre choix que de se terrer comme des rongeurs bien à l'abri dans un bunker sécurisé. Pourtant, celui-ci se désagrège lentement, les condamnant à une destinée funeste. Pour contenir cette masse populaire ayant sombré dans la folie, les dirigeants en place n'ont eu comme autre choix que d'appliquer un précepte vieux comme le monde : construire un espoir en lequel les gens sont invités à y croire. Comme nous le savons, la religion est consubstantielle de la condition humaine. L'Homme a un besoin vital de croyance. S'en affranchir, surtout lorsqu'il est acculé, ne mène qu'à la désagrégation mentale.
Ce dogme 100% artificiel est la sacro-sainte Arche qui les sauverait de l'inéluctable. En apaisant les tensions qui deviendraient vite explosives, ils sécurisent tant bien que mal leur modèle primitif de gouvernance. Mis à mal par un rebelle qui a lancé un enregistrement audio dans des haut-parleurs vociférant l'appel à ne pas croire en ces sauveurs extraterrestres, il est pourchassé par notre héros. Se déplaçant sans arrêt dans ce dédale aux lumières blafardes où les êtres humains qui n'ont d'humain que le nom circulent sans but défini, le visage dissimulé par des tissus, se nourrissant de denrées inidentifiables et ayant coupé quasi toute communication verbale. Les rares pouvant encore dialoguer n'en ont pas moins leurs facultés mentales altérées. Le dôme est un hôpital psychiatrique qui ne dit pas son nom et qui n'a en son sain que des gens atteints d'un mal incurable.
"O-bi, O-ba" est un film éminemment complexe où notre condition est mise à mal, sinon traînée dans la boue. A l'horizon des influences tarkovskiennes et Zulawskaiennes, le pessimisme en suinte à travers tous les pores de la pellicule. Son ambiance cadavérique, ses décors anxiogènes et l'inexistence totale de joie sont comme des serres de rapace étouffant son spectateur dans un cloaque dans lequel il n'enverrait même pas ses pires ennemis. Critique acerbe des dérives sectaires, de l'obscurantisme et du totalitarisme communiste vivant ses dernières heures, on tient là une création qu'il serait sérieusement tant de réhabiliter et d'offrir une exploitation française. Détonnante, audacieuse, pas facile d'accès mais riche d'enseignements. Voilà une SF dont nous manquons cruellement. L'Europe de l'Est a toujours eu un rapport très particulier avec ce genre et il faut les remercier pour cela.