Intéressant, mais attention à la distanciation...


C'est une adaptation du mythe d'Oedipe, avec cne différence, par rapport au mythe originel : le sphynx est tué sans avoir eu le temps de poser la moindre énigme. Et ce n'est pas Antigone, mais un serviteur de Laius, Angelos, qui s'occupe du roi devenu aveugle.



C'est étonnant, comme c'est difficile de rentrer dans un film de Pasolini. Au début, on est choqué par les ficelles faciles, puis on se laisse emporter et on ne regrette pas le voyage. Ici, la difficulté vient de ce que le film en demande beaucoup au spectateur en terme de suspension d'incrédulité. Beaucoup de distanciation, d'éléments factices qui révèlent délibérément le film comme un artifice. La naissance d'Oedipe se place dans un milieu Belle-Epoque. Puis il est recueilli par le roi qui porte une fausse barbe en laine et siège devant une Corinthe qui est en fait une cité marocaine. De toute façon, les lieux sont identifiés par des stèles qui ont visiblement été sculptées l'heure avant la prise de vue. Le dénouement, quant à lui, a lieu dans un monde contemporain, où Oedipe est un SDF.


La partie centrale comporte beaucoup de kitsch : les glaives-pelles. Tiresias jouant de la flûte alors que la musique est clairement un enregistrement d'orchestre. Les costumes faits maison, autant vous accrocher : de la robe orange doublée d'un pectoral triangulaire blanc du prêtre au chapeau à double plume d'autruche d'Oedipe ado, on en a pour son argent. Idem, quand Oedipe part pour Corinthe, on a droit au bruit du va-et-vient de l'eau de sa gourde à chaque pas : l'anti-grâce.


Mais si l'on est capable de dire non au réalisme, beaucoup de scènes ont une grande élégance, car on retrouve le grand sens du découpage de Pasolini. Et ici, comme c'est un film en costume, son sens de la composition. Très beau plan de la consultation de la Pythie, assise sous un arbre épineux adossé à une pente, entourée d'enfants masqués dont le tissu des pagnes vole au vent.


Il y a également un travail sur la lumière, qui abuse un peu des contrejours dans la lumière dorée du Maroc, notamment pour masquer les scènes de violence au moment opportun. Cela dit ce thème de la lumière/vérité qui aveugle le héros est évidemment important dans le film. Il y a aussi ces longs panoramiques à plus de 180° sur les murs de la cité, pour matérialiser l'attente des citoyens, le décor du drame.


Au niveau musique, un choix de flûte haut perchée ponctuée d'un peu de tambour qui accentue le côté insolite, absurde, de la condition humaine.


Au niveau du jeu d'acteur, c'est assez accentué, voire outré. Jocaste, jouée par Mangano, est parfaite, et l'on comprend vers la fin du film l'importance de ce long plan rapproché sur son visage, au début. Franco Citti s'en tire de manière plus inégale, en particulier dans la scène où il gueule sur sa mère en lui révélant son enfance, et quelques plans un peu ridicules où il court vers la caméra en hurlant. Cela tient au choix de Pasolini d'une écriture cinématographique très visuelle, quasiment proche de la bande dessinnée (je pensais par moment à Jodorowski).


Par son côté épuré, qui renforce la puissance de ce mythe si central de notre culture occidentale, "Oedipe roi" de Pasolini fait passer en arrière-fond ses bizarreries et le côté brut assumé de sa forme.

zardoz6704
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le 5 avr. 2015

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