La belle et les bêtes
Okja est un conte : à partir du moment où l’on accepte ce présupposé, on peut être en mesure de l’apprécier. Après une ouverture assez ébouriffante calquée sur un clip marketing adepte du Green...
le 22 mai 2017
121 j'aime
11
Voir le film
Imagineriez-vous manger du Totoro ? Ou du moins un mélange de Totoro et de gros toutou : le cochon géant ! Il n'y a bien que dans l'esprit dérangé des sœurs Mirando alias Tilda Swinton qu'une idée aussi grotesque puisse germer. Et pourtant, aussi absurde que cela puisse paraitre, nous mangeons, nous humains, du Okja tous les jours. Sauf que cette réalité - et la prise de conscience qui en découlerait - nous est habilement masquée.
Le film parle justement de ça. Car si les soeurs Mirando ont bien compris le blé qu'elles pouvaient se faire avec des côtelettes format XXL, encore faut-il qu'elles persuadent les futurs clients/consommateurs que la gentille grosse bête n'a pas grandi dans un box de 3 m2, ni été abattue dans de sinistres conditions. Au contraire, montrons que ces bestiaux s'épanouissent à l'air libre, en pleine nature, entourés d'attention et nourris d'herbe grasse. En quelque sorte, scénarisons la vie de ces cochons géants, filmons leur environnement heureux et cachons-nous derrière cet écran de fumée pour produire secrètement en batterie et dans la plus grande impunité des milliers d'Okja passés à la moulinette d'abattoirs industriels. Telle est l'idée toute simple et économiquement très efficace de Lucy Mirando.
A partir de là, le film est doublement intéressant. D'abord pour la question qu'il pose et qui peut se résumer ainsi : serions-nous capable de manger ce que nous mangeons si nous avions pleine conscience de la façon dont c'est fabriqué ? Une problématique qui traverse depuis quelques années la société toute entière et vis-à-vis de laquelle chacun se positionne librement. Le film montre bien le hiatus qui existe entre notre penchant affectif à aimer les animaux (et donc à vouloir leur bien être) et notre instinct naturel à vouloir les manger (mais à quel prix ?). Il y a là une contradiction que le réalisateur coréen souhaitait pointer du doigt. Pari réussi.
Mais le film ne manque pas d'intérêt non plus pour ce qu'il nous dit du cinéma et de la mise en scène. Le film de la vie d'Okja répond au cahier des charges d'un film de fiction, tout y est pensé : décor, casting (le vieux sage et la gamine), promotion, vedettariat... De ce point de vue, il n'est pas sans rappeler le King-Kong de Peter Jackson. Dans les deux cas, la bête est extraite de force de son milieu, emmenée aux États-Unis et montrée en spectacle à des spectateurs médusés. Et dans les deux cas la bête rechigne à "jouer le jeu" et se rebiffe. La fête est alors finie, retour à l'ordre : militaire dans King-Kong, paramilitaire dans Okja. Ce regard sur la société du spectacle, sur la société de consommation et sur la société tout court est tout aussi glaçant que celui sur l'alimentation aveugle.
Mais si le film est intéressant, le scénario finit par patiner notamment dans le dernier tiers. Les scènes d'élevage industriel et d’abattage heurtent la vue mais la dimension 'conte' du film - Tilda Swinton prend des airs de sorcière, la gamine ressemblant une héroïne de manga - a fini par établir, à la longue, une sorte de distance avec notre propre réalité. Et de nous laisser imaginer qu'après tout, tout cela n'est qu'une histoire, que du cinéma ! La charge de ce point de vue me semble fortement atténuée par rapport à ce qu'elle aurait dû être.
Intéressant malgré tout.
Personnages/interprétation : 6/10
Histoire/scénario : 7/10
Mise en scène/réalisation : 6/10
6.5/10
Cet utilisateur l'a également ajouté à ses listes Duel de femmes, Regards d'enfants, Lost in translation ?, Les meilleurs films coréens et Vus (ou à voir) sur Netflix
Créée
le 5 déc. 2017
Critique lue 439 fois
17 j'aime
10 commentaires
D'autres avis sur Okja
Okja est un conte : à partir du moment où l’on accepte ce présupposé, on peut être en mesure de l’apprécier. Après une ouverture assez ébouriffante calquée sur un clip marketing adepte du Green...
le 22 mai 2017
121 j'aime
11
Je l'ai attendu hier ! Pour m'occuper l'après-midi en attendant que Netflix daigne le mettre en ligne, j'avais donc l'embarras du choix: poursuivre ma lecture du moment, à savoir The Man in The...
Par
le 29 juin 2017
87 j'aime
18
Okja n’est pas un film de SF, ce n’est pas une dystopie sympathique, c’est notre futur proche si rien ne change. La polémique ridicule accompagnant le film au festival de Cannes aura au moins eu un...
Par
le 29 juin 2017
78 j'aime
5
Du même critique
Avec Us et après Get Out, Jordan Peele tire sa deuxième cartouche estampillée "film d'horreur". Sans vraiment réussir à faire mouche il livre un film esthétiquement réussi, intéressant sur le fond...
Par
le 21 mars 2019
108 j'aime
33
La quête du père qui s’est fait la malle est un thème classique de la littérature ou du cinéma. Clifford (Tommy Lee Jones) le père de Roy Mac Bride (Brad Pitt) n’a quant à lui pas lésiné sur la...
Par
le 18 sept. 2019
97 j'aime
55
Les films de série B présentent bien souvent le défaut de n'être que de pâles copies de prestigieux ainés - Alien en l’occurrence - sans réussir à sortir du canevas original et à en réinventer...
Par
le 21 avr. 2017
81 j'aime
17